Les arnaques en ligne sont fréquentes, tout comme celles en lien avec les virements bancaires numériques. Mais soupçonniez-vous qu'une arnaque à la facture avait été mise au point par les fraudeurs ? Auriez-vous remis en doute une facture reçue par la poste si vous en attendiez justement une ? C'est ce qui est arrivé à Marie-Noëlle qui s'est fait escroquer 45.000 euros "grâce" à cette technique bien huilée. Son argent s'est envolé... Afin de lutter contre la fraude à la facture, et de protéger le consommateur, Febelfin, la fédération du secteur financier, a annoncé de nouvelles mesures ce jeudi. Explications.
Marie-Noëlle, 56 ans, nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour nous expliquer sa mésaventure : elle a été victime d’une fraude à la facture et a perdu 45.000 euros. "Les économies de toute une vie anéanties", souffle-t-elle. Cet argent, Marie-Noëlle en avait besoin pour faire l’acquisition d’un appartement à vocation sociale afin d’assurer sa pension et d'avoir ainsi une certaine sécurité. Mère de 3 grands enfants, Marie-Noëlle a fait le choix d’arrêter de travailler pendant 17 ans afin de s’occuper d’eux. À l’âge de 50 ans, elle s’est reconvertie en tant qu’indépendante. Assurer sa pension était donc une priorité pour elle. Et afin d'obtenir cette somme importante, Marie-Noëlle a fait un financement.
Mais ses projets ont été mis à mal depuis qu’elle a été victime d’une fraude à la facture le 8 mars dernier. Et elle ne s’attendait pas à une arnaque lorsqu’elle a reçu la dite facture par la poste : "J'ai reçu une enveloppe dans laquelle il y avait une facture que j’attendais. J’ai été étonnée parce qu’on était le 8 mars et la facture datait du 22 février. Ma première réaction, ça a été que la poste avait traîné, mais je ne me suis pas étonnée outre mesure", explique Marie-Noëlle.
la facture est identique si ce n’est que le numéro de compte a changé
Trois jours plus tard, elle contacte sa banque, la CBC, afin de virer la somme inscrite sur la facture, soit 45.000 euros. "La CBC m'a appelée dans la demi-heure pour dire que je devais faire le versement via leur application dite sécurisée et que je devais appeler une ligne CBC pour confirmer mon identité, ce que j’ai fait. Tout était en ordre, j’ai donc fait le virement et n’y ai plus pensé", poursuit-elle.
Ce n’est que le 22 mars que Marie-Noëlle se rend compte de l’horreur après un coup de fil de sa banque : elle apprend qu’il y a eu fraude et que le compte du destinataire ne correspond pas au nom de la société mentionné sur la facture. C'est ce qu'on appelle la fraude à la facture : celle-ci a été interceptée, modifiée via un logiciel internet, imprimée, puis déposée dans la boîte aux lettres de Marie-Noëlle. Ni vu ni connu. À part que l’argent a été viré sur un compte fantôme…
"Après avoir pris contact avec le vrai destinataire du versement, je me rends compte que la facture est identique si ce n’est que le numéro de compte, à l’origine un Fortis, a été changé en un CBC", nous dit-elle.
À gauche la fausse facture que Marie-Noëlle a reçue par la poste, et à droite, la vraie facture qu'elle a reçu par mail, seul le numéro de compte change.
Ses 45.000 euros se sont envolés. Marie-Noëlle a porté plainte à la police et auprès de sa banque, qui se décharge de toute responsabilité. "Dans ma grande naïveté, je pensais que puisqu’il y avait suspicion de fraude, le versement avait été bloqué. Mais non, je dois repayer une deuxième facture de 45.000 euros dans 15 jours alors que j'avais fait un financement pour ça", nous explique Marie-Noëlle, qui se sent comme agressée, "violée dans son intimité".
En Belgique, les banques ne disposent d’aucun moyen de contrôle destiné à vérifier si le nom du bénéficiaire inscrit lors du virement correspond bien au nom du titulaire réel du compte sur lequel le virement devait être fait. Le transfert ne pouvait donc pas être bloqué puisqu’il fallait d’abord se rendre compte de la supercherie…
La seule différence est le numéro de compte, tout est identique.
La fraude à la facture : une arnaque bien huilée
En 2021, le SPF Économie a reçu un peu plus de 500 plaintes concernant cette arnaque de fraude à la facture. Le préjudice total déclaré pour les consommateurs s’élève à 300.000 euros. "Et encore, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, car tout le monde ne déclare pas un préjudice", estime Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Économie.
Et pour les entreprises, le préjudice a atteint près de 3 millions d’euros… Car les consommateurs ne sont pas les seuls à se faire avoir par des factures trafiquées, les entreprises peuvent aussi tomber dans le panneau : "Elles peuvent être visées dans leur relation avec le fournisseur où là, on a des montants qui sont assez importants. C’est le même processus que pour le consommateur, l’entreprise cliente va payer, mais la somme sera transférée sur le mauvais compte", explique le porte-parole.
Mais concrètement, comment font les fraudeurs pour intercepter des factures et y changer les informations bancaires ? C’est en réalité plus simple qu’on ne le pense : "Ils interceptent une facture papier pour la scanner et modifier le numéro de compte. Ça peut se faire pendant la distribution du courrier, directement dans les boîtes aux lettres, ou quand il y a le ramassage du papier/carton", détaille Etienne Mignolet. Puis ajoute : "Les escrocs peuvent aussi poser une petite étiquette où il y a écrit ‘Attention numéro de compte modifié’ avec le nouveau numéro sauf que c’est un faux, en tout cas le numéro appartient à un escroc…"
Quels sont les bons gestes à adopter pour éviter la fraude à la facture ?
Pour éviter de se faire avoir lors de virement bancaire avec des montants importants, mieux vaut s’armer de prudence. Le porte-parole du SPF Économie nous donne les bons gestes à adopter :
- Le premier reflex, c’est de vérifier le numéro de compte. Plus le montant est important, plus c’est intéressant pour les escrocs, il faut donc TOUJOURS vérifier le numéro de compte. "Par exemple, si vous avez fait un chantier chez vous, il faut vérifier que le numéro que l’on reçoit corresponde bien à celui noté sur le bon de commande", explique-t-il.
- Enregistrer le numéro de compte directement dans les applications bancaires, et le lier à une entreprise, permet de vérifier rapidement si le numéro de compte de la facture correspond à celui enregistré.
- Si le doute persiste, prendre directement contact avec le prestataire ou le fournisseur pour vérifier que le numéro est bien correct. Cette vérification peut aussi se faire via son site web.
- Il faut absolument se méfier s’il y a des mentions qui indiquent que le numéro de compte a changé. Là aussi, il faut prendre la peine de vérifier auprès du fournisseur ou du prestataire si c'est vrai ou pas.
Et après avoir été arnaqué ?
Si vous avez payé le montant de la facture, mais que vous recevez un rappel du fournisseur, Etienne Mignolet conseille de d’abord contacter ce fournisseur pour être sûr que ce n’est pas une erreur. S’il s’avère que vous avez effectivement payé un montant sur le mauvais compte, là, "il faut réagir très vite", met-il en garde :
- Il faut essayer de faire bloquer la transaction en prenant contact avec votre banque et celle du numéro de compte en question
- Il faut signaler cette fraude à l’inspection économique qui peut ouvrir une enquête (via ce site web)
- Et déposer une plainte auprès de la police
Des nouvelles mesures pour lutter contre ce type de fraude
Ce jeudi, Febelfin, la fédération belge du secteur financier, a annoncé de nouvelles mesures afin de lutter contre la fraude à la facture. Concrètement, d’ici fin 2023, un nouveau système sera mis sur pieds afin de permettre au consommateur de vérifier directement via l’application bancaire que l’IBAN et le nom correspondent bien.
Les banques vont investir pour bénéficier de cette sécurité
Rodolphe De Pierpont, porte-parole de Febelfin, détaille le fonctionnement de ce nouveau système, encore à l’état de projet : "Concrètement, quand vous encoderez votre virement électronique, le système va interroger la banque du destinataire. Si le nom du destinataire auquel vous voulez faire un paiement ne correspond pas au nom du destinataire réel auquel vous croyez faire un virement, par exemple Dupont à la place de Martin, vous recevrez alors un message d’alerte qui vous dira que le nom ne correspond pas", détaille-t-il.
Un système de sécurité qui existe déjà aux Pays-Bas et au Royaume-Uni par exemple, afin de protéger au mieux le consommateur. Avec ce nouveau système, dès que vous recevez l’alerte, vous pourrez interrompre la transaction et vérifier s’il s’agit du bon compte bancaire ou non. "Ce nouveau système va permettre d’avoir une sécurité supplémentaire. Les banques vont investir pour bénéficier de cette sécurité au service de leurs clients", assure Rodolphe De Pierpont.
Qui est responsable ? La victime peut-elle espérer un remboursement ?
Mais si vous êtes victime de fraude à la facture comme Marie-Noëlle, que pouvez-vous espérer ? Serez-vous remboursé ? La banque est-elle responsable ? Le porte-parole de Febelfin nous éclaire : "Ce n’est pas la responsabilité de la banque", affirme-t-il. Puis explique : "Quand vous initiez un virement valable vers un numéro de compte valable, la banque n’est pas la responsable. Le problème se situe en amont lorsque l’escroc intercepte une facture. La banque ne peut pas vérifier si le numéro inscrit sur la facture est correct".
Et sans un recours en justice, aucun remboursement n’est possible. L’argent est comme perdu dans la nature… Marie-Noëlle envisage donc un recours afin d’éviter d’avoir à payer une deuxième fois 45.000 euros, et ainsi, assurer sa pension.
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