La Cour d’assises de Bruxelles entame ce jeudi un procès au contexte particulièrement rare dans les dossiers judiciaires: une affaire de meurtre sans cadavre. Sur le banc des accusés, Singh Kewal. Un homme d’origine indienne dont la femme a disparu le 26 août 2012. Son complice présumé, Kakania Parminder Singh, est lui en fuite et sera jugé "par défaut".
Le corps de la disparue n’a jamais été retrouvé mais le Ministère public est convaincu qu’elle a été tuée avec préméditation dans un contexte de "crime d’honneur". La victime a quitté son mari et entretenait une relation avec un autre homme peu de temps avant sa disparition. Le jury populaire désigné devra déterminer s'il y a assez d’éléments pour condamner les deux suspects alors que le corps de la victime n’a jamais été retrouvé.
Une disparition mystérieuse
Le mardi 4 septembre 2012, des policiers sont contactés par un témoin qui leur explique qu’elle n’a plus de nouvelles de son amie Kaur Jugvinder depuis environ 10 jours. Auditionnée, cette dame explique qu’elle connaît la disparue depuis mars 2012 et qu’elle l’a aidée à quitter son époux. A la question de savoir si Madame Jugvinder avait déjà reçu des menaces de quelqu’un, elle répond qu’effectivement elle avait déjà porté plainte pour des menaces émanant de son mari par des personnes interposées.
Les enquêteurs s’intéressent alors à la personnalité du couple. Il s’agit d’un mariage arrangé selon la tradition indienne, l’union a donné naissance à un enfant par conception in vitro. En réalité, selon la rumeur, Singh Kewal serait homosexuel. Au niveau professionnel, ses affaires fonctionnent bien, il est le gérant de plusieurs night-shops. Son complice présumé est d’ailleurs l’un de ses employés.
L’accusation, menée par l’efficace avocat général Denis Goeman, est persuadée que c’est le mari qui a fait disparaître sa femme même si il n’y a pas de "smoking gun", de preuves définitives. Par contre, il existe une série d’éléments concordants et probants qui vont dans le sens d’un assassinat.
Téléphonie, écoutes et repérages...
D’abord, les aveux de l’employé du mari. Il a reconnu devant le juge d’instruction que Singh Kemal lui a donné une enveloppe contenant le téléphone de sa femme et lui a demandé d’aller l'abandonner dans une cabine à Paris. Ce qu’il a fait dans un voyage express en Thalys.
Les analyses de la téléphonie du GSM de la disparue et du suspect confirment ses déclarations. En effet, les deux GSM ont activé les mêmes bornes au même moment durant le trajet de Bruxelles à Paris.
Les écoutes entre Singh Kemal et Kakania Parminder sont également très instructives. On entend les deux hommes parler de l’état d’avancement de l’enquête en précisant que les policiers n’ont rien contre eux et que le dossier sera bientôt clôturé. A aucun moment, ils ne s’inquiètent de savoir si la disparue a été retrouvée. Au contraire, ils espèrent la fin des investigations.
Kakania Parminder et deux complices ont également effectué des repérages quelques jours avant la disparition de la victime sur l’autoroute A8 (Bruxelles-Lille) à hauteur de la sortie Leuze. Ils se sont arrêtés sur la bande d’arrêt d’urgence pour aller dans les fourrés. Selon une source proche de l’enquête, c’est probablement dans cette zone que se trouve le corps de la victime. Cependant, les fouilles effectuées n’ont donné aucun résultat.
Celui qui fait une tromperie avec quelqu'un, il doit aussi subir une tromperie
Le contexte de crime d’honneur est également à prendre en compte. Kaur Jugvinder avait donc quitté son époux et entretenait une relation avec un autre homme. Dans les écoutes, une conversation du principal suspect avec sa soeur interpelle les enquêteurs: "Celui qui fait une tromperie avec quelqu'un, il doit aussi subir une tromperie. Quand je me lève le matin, je me dis aussi que celle qui a fait une si grande tromperie avec moi, elle doit aussi subir une tromperie, le déshonneur qu'elle m'a apporté." La sœur répond: "Oui, c’est bien ça, elle subira la tromperie, elle est probablement morte. "
Singh Kewal est défendu par un trio d’avocats célèbres: Me. Hamid El Abouti, Me. Laurent Kennes et Me. Sven Mary. Selon nos informations, l'accusé semble affirmer que sa femme est partie volontairement en laissant derrière elle son enfant de deux ans. Les suspects ont été libérés en 2013 après seulement huit mois de détention préventive.
La constitution du jury a été réalisée ce lundi (sept hommes et cinq femmes). Les débats commencent ce jeudi matin pour une dizaine de jours devant la Cour d’assises de Bruxelles.
Vos commentaires