C’est un début de "crise politique" qui inquiète au plus haut point le monde de la justice. Tout commence avec le refus de Théo Francken d'octroyer des visas à une famille syrienne, malgré une condamnation de la cour d'appel de Bruxelles.
La N-VA a décidé de soutenir son secrétaire d'Etat, notamment sur les réseaux sociaux. Et là c'est l'escalade: aujourd'hui, plusieurs formations politiques estiment que la N-VA ne respecte pas la séparation des pouvoirs.
Ce vendredi soir, Bart De Wever a poursuivi son offensive: "Cette décision d'un magistrat, un francophone membre du Conseil du contentieux des étrangers, je la trouve irréaliste, incorrecte et contraire à la loi. Tous les juristes que j'ai consultés et qui me conseillent partagent ce point de vue", a-t-il déclaré sur la chaîne flamande Canvas. Notons les mots utilisés: "un francophone". Le président des nationalistes flamands voudrait-il remettre sur la table le débat communautaire? Il affirme en tout cas qu'il n'avait parlé que "d'une décision, prise par un seul juge" et qu'il ne visait donc "pas la magistrature dans son ensemble".
Le refus de Theo Francken
Malgré une double décision de justice en sa défaveur, Theo Francken, le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, refuse de donner un visa à une famille syrienne. Il refuse aussi de payer des astreintes liées à sa décision: "Il ne s’agit pas seulement du cas de cette famille mais la question fondamentale de savoir si l’accès à notre territoire doit être décidé par un gouvernement démocratiquement élu ou par un tribunal. C’est un principe fondamental du droit administratif. Un juge ne peut jamais prendre la place du pouvoir qu’il gère".
La N-VA lance une campagne de communication en soutien à Theo Francken
Est-ce une opération préparée de longue date ou une réaction spontanée? Dans tous les cas la N-VA vient de lancer une campagne de communication sur internet et sur les réseaux sociaux en utilisant notamment le hashtag #IkSteunTheo, #JeSoutiensTheo. Dans une lettre ouverte, le parti nationaliste flamand et son président Bart De Wever s'en prennent aux magistrats, qualifiés de "gouvernement des juges". "C'est une décision qui revient au politique, au peuple, au Parlement. Les juges ne font pas les lois, ils doivent les appliquer de la même manière pour tout le monde, et ici ce n'est pas le cas", estime Bart De Wever.
Petit rappel sur la séparation des pouvoirs
Cette campagne provoque un tollé et un malaise, jusque dans les rangs du gouvernement. Ce matin, le ministre N-VA de la Défense enfonce les lignes des journalistes, renverse un caméraman et entre sans dire un mot. Mais Koen Geens, le ministre de la Justice, lui, rappelle la règle, la nécessaire séparation des pouvoirs: "L’indépendance des pouvoirs veut dire qu’un pouvoir ne s’approprie pas le pouvoir d’un autre, qu’on ne donne donc pas à l’opinion publique l’impression de vouloir influencer une décision".
De son côté, le Premier ministre rappelle certains principes et soutient son secrétaire d'Etat. "Sur le fond, le gouvernement est uni. Nous pensons que cette décision constituait un précédent qui peut poser problème, et sur le fond nous pensons qu'il faut utiliser les moyens juridiques pour faire valoir notre point de vue. De quelle manière? Doit-on payer des astreintes, oui ou non, maintenant ou plus tard, sur ces sujets-là, je veux d'abord avoir la clarté de la part des juristes", affirme Charles Michel.
L’arrêt de la cour d’appel condamne l’Etat à payer 4.000 euros d’astreintes par jour s’il refuse d’octroyer un visa. Theo Francken respecte-t-il l’état de droit en refusant d’appliquer cet arrêt? "L'état de droit, c'est permettre au citoyen de contester des décisions du gouvernement, mais c'est aussi permettre à un gouvernement d'utiliser les procédures pour faire valoir son point-de-vue, ce que nous allons faire", dit le Premier ministre.
Le secrétaire d’Etat à l’Asile a décidé de se pourvoir en cassation contre l’arrêt favorable à la famille syrienne.
Un très mauvais signal selon les représentants de la justice
En refusant d'appliquer la décision de la cour d'appel de Bruxelles, les magistrats estiment que Theo Francken envoie un très mauvais signal. "Désormais, si quelqu'un vient me dire 'Ecoutez, moi je ne suis pas concerné par la loi ni par une décision de justice', eh bien que lui répondre quand nos gouvernants montrent cet exemple-là? Un exemple cynique et symboliquement ravageur sur le plan démocratique", explique Manuela Cadelli, présidente de l'association syndicale des magistrats. "C'est particulièrement inquiétant quand un membre du gouvernement donne l'impression que le pouvoir exécutif est au-dessus du pouvoir judiciaire et qu'il peut lui dire comment travailler", ajoute Magali Clavie, membre du bureau du Conseil supérieur de la justice.
"S'ils veulent changer la loi, qu'ils la changent. La loi, nous l'appliquons. Elle a été votée par des gens élus, donc c'est tout, s'ils changent la loi, nous appliquerons la loi suivante", confie Manuela Cadelli.
Pour sa part, avocats.be regrette le comportement de Theo Francken, qui "porte atteinte à la souveraineté du pouvoir judiciaire".
No comment...
Et comme d’habitude, ce n’est pas sur le trottoir qu’on lave son linge sale: "Pas de commentaire, pour moi, ça suffit", commente Kris Peeters, vice premier ministre. Didier Reynders, vice premier ministre, commente: "Il faut laisser la procédure judiciaire se dérouler, et pour le reste, il n’y a pas de commentaire à faire, ni de la part d’un ministre, ni de la part d’un parti".
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