Si les détenus sont les premières victimes de la (très) longue grève des agents pénitentiaires, les policiers et les militaires, appelés en renfort dans les prisons, doivent également faire face à des situations surprenantes. Pour ne pas dire absurdes.
Les agents pénitentiaires ont entamé leur troisième semaine de grève. Les répercussions de ces mouvements de grogne sont nombreux, les plus graves étant au détriment des détenus, privés de visites et de sorties, notamment.
L'autre conséquence, c'est le remplacement d'une infime partie de l'activité des agents pénitentiaires par la police, et désormais également par des militaires. D'après un des nombreux policiers appelés en renfort, "la situation et l'organisation sont totalement chaotiques".
C'est ce que nous a expliqué Antoine (nom d'emprunt), un policier d'une zone de police de Bruxelles, après avoir contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous.
"3 prisons en 1 heure"
Depuis longtemps, les policiers doivent remplacer le personnel de prison en grève. "Cela nous a toujours fait chi***, mais d'habitude, ce n'est que pour quelques jours", précise Antoine. Vu que toutes les prisons francophones du pays (soit 16 sur 32) sont privées d'une majorité de leur personnel depuis plus de deux semaines, la situation est nettement plus compliquée que d'habitude.
"L'organisation est chaotique", nous a déclaré Antoine. Ce mardi, "on a fait trois prisons en une heure. On nous dit qu'il n'y a pas assez de personnel, alors on débarque, et puis lors du briefing, on se rend compte qu'il y en a assez, et on nous dit de partir. Alors à peine arrivé, on change de prison. En 20 minutes, on ne sait rien faire, c'est ridicule".
Il n'y a pas vraiment d'organisation. "Il y a des jours où nous sommes de trop, et des jours où on n'est vraiment pas assez. Je ne comprends pas pourquoi la direction de la prison ne s'organise pas mieux en nous demandant le nombre de personnes dont elle a besoin afin que tout se déroule pour le mieux".
Selon lui, il n'y a "aucune communication entre les prisons" quant à leur besoin, tandis que sa hiérarchie, "pas du tout habituée à gérer ce genre d'agenda", fait de son mieux.
"On nous explique tout en 30 secondes"
Lorsqu'Antoine trouve enfin une prison où rester plusieurs heures, la situation n'est pas plus simple.
Les policiers se sentent vite livrés à eux-mêmes. "Mardi, j'étais à Berkendael, une prison pour femmes. C'était plus calme, heureusement. On a remplacé le personnel en grève, on s'occupait du premier accès, celui des véhicules des avocats, ou des médecins. On a également géré des accès via des écrans de contrôle".
Pour ces tâches, "on nous a expliqué en trente secondes ce que des agents font depuis toujours". Un peu sommaire, donc.
A la prison de Forest, c'est autre chose
Antoine nous a rapidement précisé que dans les prisons de Forest et de Saint-Gilles, c'était autre chose. "A Forest où j'ai fait quelques nuits, c'est le chaos au niveau de l'organisation. On n'est que trois ou quatre pour surveiller toute une prison, il y en a à la porte extérieure, et d'autres à l'accueil ou dans les bureaux, la nuit".
Antoine trouve cette situation alarmante. "Vous trouvez ça normal que lors d'une de mes dernières nuits à la prison de Forest, aucun gardien n'était présent ? Juste le directeur qui nous plaçait dans les ailes, etc... C'est tout: pas d'instructions en cas de problème ou autres !"
Les tâches sont très floues. "On ne fait rien. On nous dit de surveiller une ou deux ailes, mais si on veut, on reste assis à un bureau toute la nuit. Il n'y a pas d'écran de surveillance, rien à regarder à part des couloirs vides et des portes fermées. Moi, j'allais régulièrement faire chaque étage, je passais et j'écoutais à chaque porte".
En journée, c'est différent. "On est juste là pour accompagner les agents. Par exemple, on suit un gardien qui distribue les repas avec un prisonnier. Nous, on est à côté, on ne fait rien".
Une photo du "bureau" d'Antoine, dans une des prisons, avec son "matériel"
"Si ça pète, on fait quoi ?"
Si la situation ne dégénère pas, le chaos ne sera qu'organisationnel. Mais en cas de problème…
"S'il y a un détenu malade ou qui a besoin de sortir, s'il y a un incendie, etc… on fait quoi ? On n'a même pas accès à l'ouverture des cellules". Officiellement, Antoine "doit appeler son supérieur, qui appellera le directeur de l'établissement", qui prendra alors les choses en main. "Mais le détenu a le temps mourir 20 fois".
Et en cas d'insurrection, Antoine craint clairement pour sa peau. "Si ça pète, on fait quoi ? On ne peut pas avoir notre arme, on a juste un spray, une petite matraque, des menottes et notre radio… je ferais quoi avec mon spray contre des détenus avec des couteaux ?"
"En gros, on est là, mais on ne sait pas pourquoi", conclut ce policier.
Manque de responsabilité des grévistes
Antoine dit qu'il comprend la grogne des agents, mais pas que la grève continue malgré les conséquences humaines sur les détenus, les conséquences sur le travail des policiers ("qui prennent un retard considérable dans leur travail principal et sont appelés n'importe quand") et celui des militaires ("qui ont mieux à faire en ces temps de menaces terroristes").
Selon lui, "tout citoyen doit réagir en bon père de famille".
"Et que lorsque l'on a un travail à responsabilité, il faut l'assumer un minimum. Policiers, pompiers, médecins, gardiens de prison: dans des emplois comme cela, ça ne doit pas arriver au stade actuel, surtout pour la sécurité du citoyen. Si un ou des prisonniers dangereux s'évade(nt), à qui incombera la faute ?"
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