Le coronavirus en Belgique a engendré la prises de mesures gouvernementales strictes et notamment l'interdiction de se réunir. Voici comment les Alcooliques Anonymes se sont débrouillés pour éviter à tout prix que l'un d'entre eux se retrouve seul et risque la rechute.
Dès les premières mesures prises en Belgique pour faire face à l'épidémie de coronavirus, la nouvelle est tombée : les réunions des Alcooliques Anonymes ne peuvent plus être organisées. Comment font ces personnes pour qui ce rendez-vous est indispensable ? Nous en avons parlé avec 3 alcooliques habitués à se réunir chaque lundi et jeudi.
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Il y a quelques jours, au moment où on annonce la fermeture des écoles, les Alcooliques Anonymes de ce groupe wallon apprennent qu'ils ne pourront plus se réunir. Leur local est situé au rez-de-chaussée d'une résidence pour personnes âgées, population à risque dans le contexte actuel.
Pour Stéphanie, Christina et Bernard, ce n'est pas une bonne nouvelle. Mais c'est d'abord aux autres que Stéphanie, 49 ans et abstinente depuis 2014, pense.
Inquiétude "pour les jeunes abstinents"
"Je ne me suis d'abord pas inquiétée pour moi mais pour les jeunes abstinents. J'ai quelques 24 heures derrière moi (NDLR, aux Alcooliques Anomynes, on vit 24 heures après 24 heures sans consommation), donc, je n'ai pas de souci. Mais pour les jeunes qui viennent de commencer ou qui veulent pousser la porte des AA, ces réunions sont essentielles", explique-t-elle.
Bernard aussi a eu cette pensée pour "les nouveaux", mais également pour lui. Ce cadre de 41 ans, abstinent depuis mai 2018, a "paniqué" un instant à l'annonce de l'arrêt des réunions. "Ça fait tellement partie de ma routine d’aller aux réunions 2 fois par semaine, confie-t-il. C’est la régularité qui m'aide à rester un abstinent heureux de l’être. J’ai vraiment eu peur de couper cette dynamique où je me sens bien."
"Si je n'ai plus de réunions, je n'ai plus de traitement"
Christina, enseignante de 47 ans et abstinente depuis 15 mois, a "eu peur" elle aussi. "C'est un peu comme une chimio que vous recevez 2 fois par semaine : elle est indispensable. Si on vous en prive, vous ne savez pas comment vous allez vivre ça. Mon abstinence fonctionne avec les réunions et si je n'ai plus de réunions, je n'ai plus de traitement", confie-t-elle.
Un groupe WhatsApp, puis une solution
Dans les jours qui suivent, tous réalisent évidemment l'utilité de ces mesures mises en place par les autorités pour combattre le coronavirus. À leur tour de réagir à cette situation inédite. Et tout va très vite : Stéphanie créée un groupe Whatsapp avec tous les numéros d'amis AA qu'elle a dans son téléphone. Les autres font de même. Ensemble, ils peuvent alors réfléchir à une solution. Celle qui est proposée par Bernard est tout de suite retenue : organiser une réunion par Skype. Lundi soir, ils étaient 8 à se parler comme s'ils étaient physiquement en réunion. Ils étaient 16 ce jeudi. Ceux qui sont un peu moins à l'aise avec ce genre d'outil sont aiguillés et rassurés par les autres. L'idée est de donner accès à chacun à ces réunions "virtuelles".
"On s'est rendu compte que ceux qui arrêtent de venir en réunion, malheureusement, rechutent bien souvent. Même pour les gens qui sont abstinents depuis 30 ans, venir régulièrement aux réunions est important", explique Stéphanie.
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"Une piqûre de rappel essentielle"
Elle considère également ce rendez-vous hebdomadaire comme un médicament. "Tu ne guéris pas de l'alcoolisme, tu es alcoolique à vie, et tu stabilises la maladie grâce à ces réunions. C'est 1h30 de mon temps sur ma semaine, mais ça me permet de ne pas oublier ce que je suis. Je ne pense plus à l'alcool tous les jours, je n'ai plus envie de boire, mais cette piqûre de rappel est vraiment essentielle. Grâce aux réunions, je vais bien", ajoute l'assistante de direction.
Cette solution de se réunir sur Skype est saluée par tout le monde : il est important pour un alcoolique de garder le lien. Tous n'y trouvent que du positif, même si ça ne peut pas durer une éternité.
"Ça me convient mais j’espère que ce sera le moins longtemps possible. Il y a vraiment des liens forts entre les membres des AA, explique Bernard. On sait qu’on ne sera pas jugé quand on parle de soi. J'ai besoin de ressentir totalement cette confiance et en n’étant pas assis autour de la même table, c'est compliqué."
"Une bouée de sauvetage"
Christina quant à elle se réjouit de cette "bouée de sauvetage" que représente la réunion par Skype, "même si ça ne remplace pas les contacts humains". Elle pense que c'est une formule à conserver pour plus tard dans certaines situations : "Par exemple, si un ami AA est malade et veut participer à la réunion, pour qu'il ne se sente jamais seul".
"Même si ce n'est pas une vraie réunion, ça permet de ne pas rester avec des choses sur le cœur", ajoute Stéphanie. Maman de 3 enfants qu'elle a à la maison une semaine sur deux, ces réunions ont encore plus d'importance lorsqu'elle est seule.
Et justement, les personnes isolées ou n'ayant pas la possibilité de se connecter sur Skype, tous les trois y ont pensé.
Le fait d'entendre quelqu'un, même juste à deux, c'est déjà une réunion
"On a un ami plus ancien qui ne saura pas participer, mais il a des contacts avec d'autres par téléphone", explique Stéphanie. Pour de nombreux alcooliques, ce lien téléphonique est essentiel, même en dehors des réunions. "Le fait d'entendre quelqu'un, même juste à deux, c'est déjà une réunion, rappelle Cristina. Le principal, c'est de ne pas se sentir confiné par rapport à l'alcool et ne pas se sentir seul pendant cette période. Donc, quel que soit le moyen, toujours se dire qu'il y a quelqu'un à qui on peut dire : 'aujourd'hui, je démarre la journée au téléphone avec toi, et je ne boirai pas'."
Une permanence téléphonique 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24
Des initiatives semblables de réunion par Skype ont été mise en place dans d'autres antennes belges, mais aussi en France et au Canada. Chez nous, une page Facebook est dédiée aux Alcooliques Anonymes en Belgique francophone. Elle rappelle qu'il existe une permanence téléphonique 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 au 078 15 25 56.
D'autres pistes sont également proposées : "Retourner vers notre littérature qui nous ramène et nous maintient près de nos amis AA", peut-on lire sur la page Facebook. On encore : "Reprendre nos cartes de bienvenue, et ces numéros de téléphone qui nous ont été si précieux. C'est peut-être le moment d'appeler un ami perdu de vue, une amie qui a déménagé, quelqu'un qui a changé de groupe, quelqu'un qui est malade, quelqu'un qui a besoin d'aide, de partages... Appeler nos parrains, nos marraines, nos filleules et nos filleuls."
Face au coronavirus comme face à l'alcool, la solidarité est décidément la meilleure alliée.
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