De nombreuses écoles de danse crient leur désespoir. Les nouvelles règles en place pour les activités des jeunes ne sont pas adaptées à cette pratique. Certains établissements pointent aussi une différence de traitement avec les académies. La majorité des établissements privés n’ont reçu aucune aide, après plusieurs mois de fermeture et d'ouverture limitée.
Ancienne danseuse professionnelle, Graziella a ouvert son école il y a plus de 30 ans. La GGacademy forme des générations de passionnés dans plusieurs disciplines (classique, jazz, contemporain, hip-hop, etc.) à Court-Saint-Etienne, dans le Brabant wallon. Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres institutions dédiées à la danse, elle doit faire face à de très grandes difficultés. Et les nouvelles mesures prises pour les activités des jeunes ne vont pas faciliter la vie de ces structures. C'est pourquoi elle nous a contactés, via le bouton orange Alertez-nous.
Depuis mars 2020, l’école de Graziella a été fermée, refermée, ouverte sous conditions,… Jusqu’au mois dernier, seuls les cours pour les moins de douze ans pouvaient se dérouler.
Les nouvelles mesures d’application depuis le premier février autorisent les activités extra-scolaires pour les jeunes au-dessus de 12 ans MAIS pratiquées uniquement à l’extérieur et en bulle de 10 personnes maximum. Et dans le même temps, les nouvelles mesures ont resserré les vannes pour les moins de 12 ans qui ne peuvent plus s’adonner qu’à un seul type de hobby par semaine (L’arrêté ministériel ne parle pas d’obligation, la chose étant impossible à vérifier) et là aussi avec un maximum de 10 jeunes participants.
Quand on parle du sport, ce n'est que du football. On ne parle jamais de la danse
Chez Graziella, l’application de ces règles pourra se faire: "Nous sommes une petite structure, ça ira, mais on va perdre des élèves et cela a déjà commencé". Et pour les autres ? "Ce sera un vrai casse-tête, diviser les cours par deux, parfois par trois… Diviser les salaires des professeurs aussi ? Et puis ceux-ci et les parents ne sont pas forcément disponibles à un autre moment", estime la directrice.
Difficulté de donner des cours en extérieur à cette période-ci de l'année
La possibilité retrouvée d’organiser des cours pour les plus de 12 ans, en extérieur, n’aidera pas franchement la pratique de la danse : "C'est impossible, c'est juste pour se blesser… peut-être au printemps et encore...". Son sentiment, c’est que les autorités ont un peu "oublié" ces écoles : "On nous classe dans le sport, mais quand on parle de sport, ce n’est que du football. On ne parle jamais de la danse".
"Les plus jeunes vont être privés de leur passion, soit-disant pour relâcher un peu la bride pour les plus grands... Sauf que ceux-ci ne pourront toujours pas revenir, car ils ne sont pas en extérieur. Ces mesures sont incompréhensibles, illogiques", lance Fiona, une professeure qui enseigne dans deux écoles de danse. "On essaye d’organiser des cours à distance avec Zoom, mais c’est difficile les jeunes, les ados décrochent", ajoute Graziella.
Des règles différentes entre écoles de danse et académies
Graziella dénonce aussi ce qu’elle considère comme une différence de traitement entre les écoles de danse et les académies. Les jeunes de plus de 12 ans peuvent suivre des cours à l’intérieur dans ces dernières, par groupe de quatre maximum et selon un protocole strict. Les autres activités pour cette tranche d’âge doivent se faire à l’extérieur, avec toutes les difficultés que cela implique pour des disciplines, telles que la danse. "Comme si on était puni... alors que certains professeurs donnent également cours en académie".
Contrairement aux écoles de danse, les académies font partie de l’enseignement secondaire artistique à horaire réduit (esahr) et dépendent donc du ministère de l’Enseignement, c’est ce qui explique que les protocoles ne soient pas les mêmes avec les activités extra-scolaires. "Un cours suivi dans une académie n'est pas une activité extra-scolaire, il s'agit d'une formation diplômante", affirme le cabinet de la ministre Caroline Désir. Même si dans la pratique, la différence semble très ténue.
C'est lamentable de prendre si peu en considération la danse et le métier de professeur
Un autre problème pour les écoles de danse est le manque de soutien. "On n'en peut plus, il faut que le gouvernement fasse quelque chose. Les abonnements sont payés à l'année, plein d'élèves n'ont pas payé, car ils ont peur du covid. Si ça continue, on ne pourra plus tenir le coup. C'est lamentable de prendre si peu en considération la danse et le métier de professeur", confie Graziella.
Qui est compétent pour les écoles de danse ?
L’activité des écoles de danse se situe au carrefour de plusieurs domaines de compétences politiques. D’une part l’Enseignement, pour les leçons données en académies. Et d’autre part, le Sport et la Culture pour les cours dispensés dans des établissements privés. Il y aurait plus de 700 écoles de danse en Fédération Wallonie-Bruxelles. Il s'agit d'une estimation car il n'y a pas de chiffres officiels. Et très peu de ces établissements ont reçu une aide spécifique depuis le début de la crise, car l’immense majorité n’est pas affiliée à une fédération. Il n’y a d’ailleurs aucune obligation de le faire.
En ce qui concerne le sport, 27 clubs sont affiliés à la Fédération Wallonie-Bruxelles de danse sportive. A ce titre, ils peuvent bénéficier d’aides. Un montant de 10 millions d’euros a été alloué pour soutenir le sport francophone dans son ensemble. D’après, le cabinet de la ministre Valérie Glatigny en charge des Sports, les autres structures non reconnues relèvent du secteur de la Culture.
Seules trois écoles de danse sont officiellement reconnues comme opérateurs culturels, indique le cabinet de la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard. Une aide au secteur culturel non subventionné va être mise en place. A priori, cela ne concerne pas les écoles de danse. Mais les établissements qui peuvent faire valoir une dimension culturelle pourront introduire une demande. Les critères précis n’ont pas encore été fixés par l’administration.
Le covid, c'est le même combat partout... On veut que ce soit juste
Au-delà du manque de reconnaissance, plusieurs écoles de danse disent avoir du mal à comprendre certaines règles prises par le gouvernement : "Voir les gens serrés pour faire les soldes, alors que le covid, c'est le même combat partout", commente Graziella qui tient à souligner qu’elle est respectueuse des mesures: "Ma salle sent la javel tellement elle est désinfectée tous les jours. On travaille avec notre corps, on connaît l’importance de la santé mais on veut que ce soit juste pour tous".
Graziella pointe ce qu’elle juge comme une incohérence : "Les stages sont autorisés à 25 enfants qui viennent de partout. C’est plus dangereux, pourquoi permettre cela?".
Elle évoque également la situation des adultes, qui attendent des assouplissements et ont aussi "besoin" de danser : "Les parents n’en peuvent plus psychologiquement". Elle lance une piste: "On pourrait par exemple mettre à disposition des locaux pour qu’ils puissent s’entraîner par deux avec masque". Ce serait déjà ça.
De nombreux acteurs de la danse ont initié une pétition pour demander de rectifier les mesures de restriction, en tenant compte des besoins des jeunes et de la survie de ces écoles dédiées à la passion et à la création.
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