Hier, la ministre de l'Education Joëlle Milquet a menacé de finalement reporter à 2016 la dispense des cours de religion et morale prévue pour l’année scolaire prochaine, et de lier cette option « cours de rien » au futur cours de citoyenneté. Une sortie qui a créé un vrai malaise chez les professeurs. Ils font entendre leur voix aujourd’hui : "A l’heure actuelle, nous ne savons pas ce qui va être organisé. C’est tout à fait flou, il n’y a rien de certain."
La Fapeo, l’association des parents de l'enseignement officiel, a demandé aux parents de choisir l'option 2 (ni religion, ni morale) sur le questionnaire soumis par la ministre Milquet. Deux pouvoirs organisateurs de l'officiel ont embrayé en envoyant une lettre à toutes les communes leur demandant de relayer cette lettre, alors que d'autres PO ont organisé leur propre questionnaire. Les parents devront remettre ce formulaire, stipulant qu’ils choisissent un des cours de religion, morale laïque ou aucun des deux, à l’école pour le 8 mai, dans deux jours. Et les écoles devront avoir communiqué les résultats au ministère pour le 18 mai.
La ministre menace d'attendre un an de plus et ajoute au flou ambiant
Pour la ministre, cette action de la Fapeo, cette pression vers la suppression totale des cours de religion et morale, est tout simplement… illégale. Elle a donc menacé hier dans La Libre Belgique : "Si ça continue, je ne dé¬pose aucun texte sur la dispense car rien ne m'y oblige. Et je reporte le décret sur l'organisation de la dispense à 2016, en liant le tout avec le cours de citoyenneté". Résultat : les professeurs de religion et de morale se posent mille questions. Faut-il craindre pour leur emploi? Qui aura le titre requis pour enseigner le futur cours de citoyenneté ? Quand ce cours sera-t-il proposé aux élèves ? Bernard Lobet a fait le tour des professeurs pour Bel RTL ce matin. Ils déplorent un manque de communication de la ministre sur l’avenir réel de ces cours et donc de leur travail.
Les élèves eux-mêmes sont perdus puisqu'il ne savent pas encore ce que sera le "cours de rien"
Face aux dispenses, Joëlle Muller, professeur de religion catholique à Bruxelles, se sent "très démunie, très déçue, et surtout pas du tout reconnus dans notre mission d’enseignant". Mariana Mandi, également professeur de religion catholique à la Ville de Bruxelles, confirme ce sentiment de perdition. "Je ne sais pas très bien ce qui va se passer. Je ne sais pas si je vais perdre la moitié de mon temps. Je ne sais pas très bien comment on va être défendus non plus. Il y a beaucoup de questions qui se posent et un réel malaise dans l’école et autour de moi. Des collègues viennent me trouver en me demandant ce qui se passe et je leur réponds que je ne sais pas. D’autres me disent : « Il parait que tu perds ton emploi » ! Ce qui est pire, c’est que les enfants sont assez perturbés parce qu’il y a ce choix et qu’ils ne savent pas très bien ce qu’ils doivent choisir et s’il est intéressant d’aller dans ce cours où il n’y a pas de cours, puisque nous, à l’heure actuelle, nous ne savons pas ce qui va être organisé. C’est tout à fait flou, il n’y a rien de certain", a-t-elle déploré.
Le cours de citoyenneté prêt pour 2016? "Jamais"
Pour Pierre-Stéphane Lebluy, un des 300 membres du collectif des professeurs de morale de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la situation est encore pire. Il estime que la mise en place du cours de citoyenneté pour 2016 est impossible et table même sur 2018! "La période transitoire avec ces 2 heures qui vont être mises en place pour les élèves qui ne veulent aller ni en religion, ni en morale, ça sera un cours de rien. Parce que le programme du cours de citoyenneté, il faut le mettre en place. Minimum 2 ans… mais je n’y crois pas, ça prendra plus de 2 ans. Je ne sais pas où ils vont aller chercher l’argent. Pour une heure, alors il y a une heure de religion/morale et une heure de citoyenneté, alors ça tient dans l’enveloppe. Mais si on met 2 heures de citoyenneté et à côté encore les cours de morale et de religion, ça ne tient plus dans l’enveloppe même s’ils deviennent obsolètes, puisqu’on est obligés de les organiser."
"Qui a avoir le droit d'enseigner ce nouveau cours?"
Stéphanie Rainotte, 31 ans et 3 ans et demi d’expérience comme professeur de religion catholique, doit déjà travailler dans 4 écoles différentes à la Ville de Bruxelles pour boucler ses fins de mois. Elle se sent d’autant plus dans l’incertitude qu’elle débute : "J’ai peur parce que je suis en première ligne, parce que je ne suis pas nommée, et que je risque d’être sur un siège éjectable." Elle a tout de même un espoir, celui de pouvoir donner à l’avenir, quand il sera mis en place, le futur cours de citoyenneté. "Moi je veux bien donner ce nouveau cours, maintenant on ne sait pas de quoi ça va traiter exactement. Qui va avoir droit à enseigner ce nouveau cours ? Est-ce que je vais devoir reprendre une formation. Est-ce que ce sont les profs qui sont nommés et qui perdent leurs heures qui vont passer avant moi ?" Pierre-Stéphane Lebluy met lui en avant la qualification des professeurs de morale pour donner ce nouveau cours, tout en reconnaissant que des confrères donnant aujourd’hui des cours de religion sont tout aussi qualifiés. "Nous, profs de morale, habitués à donner un cours de citoyenneté de la 1ère à la rétho –celui qui a eu le courage d’ouvrir notre programme pourra en être témoins- on espère pouvoir faire partie de ces enseignants qui donneront le cours de citoyenneté. Maintenant, nous ne voulons pas non plus être les seuls. Nous avons conscience que dans nos collègues de religion, il y a des gens tout à fait à même de donner ce cours de citoyenneté."
Une réforme précipitée qui n'a pas concerté les professeurs concernés
Même les « vieux sages » s’intéressent de près à la situation. Didier Defriese, professeur de morale pendant 35 ans et retraité depuis 6 mois, est formel : cette réforme est précipitée. "Cette évolution est une évolution à laquelle je m’attendais. Mais je ne m’y attendais pas aussi brutalement. Pour moi, c’est une réforme qui se fait dans la précipitation. Il faudrait prendre le temps de discuter, de se mettre autour de la table et que tous les interlocuteurs puissent être présents et que ça ne se passe pas au niveau des technocrates de cabinets qui prendront les décisions sur l’avenir de ces cours philosophiques."
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