Entre 7.000 et 10.000 personnes se sont rassemblées ce dimanche 17 avril à Bruxelles pour un rassemblement intitulé "Marche contre la terreur et la haine" par ses organisateurs. L’événement était organisé en réaction aux attentats de Bruxelles du 22 mars, qui ont fait 32 morts et des centaines de blessés. À la veille de la marche, nous avons souhaité donner la parole aux personnes qui ont vécu ces attaques.
Mathieu, Alphonse, Julien, Sylvie et Paul ont été les témoins des attentats de Bruxelles. Que ce soit à l'aéroport de Zaventem ou à la station de Maelbeek, ils ont vu l'horreur frapper notre pays et la mort s'abattre sur 32 innocents. Chez certains, les images restent et continuent à hanter leur esprit. D'autres n'osent toujours pas se mêler à la foule. Aujourd'hui, ils se confient sur ce qu'ils vivent et donnent leur point de vue sur la marche organisée ce dimanche.
"J'ai fait un rêve où on descendait dans un parking… il y avait des policiers et une kamikaze"
Sylvie Ingels se trouvait dans l'aéroport de Bruxelles au moment des attentats. Lorsque les bombes ont explosé, elle a couru pour retrouver son mari, qui était sorti pour chercher leur voiture. Aujourd'hui, elle n'hésite pas à sortir et résiste à la peur. Malgré tout, la crainte se manifeste parfois. "Il y a des jours où ça va très bien, et d'autres où ça ne va pas du tout. Par exemple, j'ai récemment fait un rêve dans lequel j'étais dans un centre commercial avec ma famille. On descendait dans le parking, et là je voyais arriver un combi de police et il y a une kamikaze avec des explosifs…", confie notre témoin.
Pour ce qui est de la marche, Sylvie pense que c'est une bonne chose, même si elle estime qu'elle aurait pu être organisée plus tôt. "Les choses doivent bouger, on ne peut pas vivre dans la terreur. Je bouge et je ne reste pas recroquevillée. Malheureusement, les attentats ont quand même changé notre regard sur la vie", explique-t-elle.
Sylvie sera présente à Bruxelles ce dimanche. Elle espère que le rassemblement sera aussi l'occasion de combattre le racisme et l'incompréhension. "Je trouve qu'il y a beaucoup de haine et d'amalgames. Je suis Belge, mais je suis mariée avec un musulman. Je sais très bien que des terroristes étaient d'origine arabe, mais ce n'est pas ça l'islam. Il faut plus de paix, que les gens comprennent qu'on est tous solidaires. Je ne veux pas que mes enfants grandissent dans un monde de terreur", nous confie-t-elle.
Pour Sylvie, la marche ne représente cependant pas un moyen d'effacer les terribles souvenirs des attaques. "Non, ça n'aidera pas les témoins ou les victimes. Ça c'est un travail à plus longue haleine", juge-t-elle.
"Le but c'est de retisser du lien. Parce que, ce qu'il s'est passé, c'est dû à une rupture sociale"
Julien Ciarniello se trouvait près des guichets d'enregistrement à l'aéroport de Bruxelles avec sa compagne et ses quatre enfants. Lorsque les explosions ont dévasté le hall des départs, Julien a été séparé de sa famille, dans le chaos, il s'est alors mis à la recherche des siens. Lui et sa famille s'en sont finalement sortis.
Julien compte bien participer à la marche de ce dimanche. "Ça ne peut pas être une mauvaise chose, tant qu'il y a des personnes dans la rue pour faire valoir de bonnes choses", confie-t-il. "Le but c'est de retisser du lien. Parce que, ce qu'il s'est passé, c'est dû à une rupture sociale, à un problème de société. Ce n'est pas le problème d'une ou deux personnes, mais de la société. Les terroristes viennent de réseaux connectés, et c'est ça qui crée la maladie de notre société", juge-t-il. Balayant les critiques sur la marche, il la voit comme un moyen de rassembler des gens d'horizons divers. "Il y aura plein de gens différents, des socialistes ou des libéraux ou autres. L'important c'est d'aller se montrer", ajoute Julien.
"À chaque fois qu'il y a eu un évènement traumatisant, on a laissé la population manifester"
De son côté, Mathieu Fescher n'était pas au courant qu'une marche était organisée dimanche. Il se trouvait dans la ligne d'embarquement de New York lorsque l'aéroport de Bruxelles a été frappé par les explosions. Lorsqu'un premier rassemblement avait été organisé, avant d'être annulé, Mathieu avait décliné l'invitation. Encore aujourd'hui, il ne se sent pas prêt à affronter la foule. "Je ne suis pas encore prêt à participer et à me retrouver dans une manifestation", confie-t-il.
Pour Mathieu, l'idée d'un rassemblement lui semble logique et naturelle. "À chaque fois qu'il y a eu un évènement traumatisant, on a laissé la population manifester. C'est normal qu'on les laisse faire", explique-t-il.
"Il y a un double message, de paix et de tolérance, mais aussi de fermeté et de combativité"
Paul Brasseur se trouvait dans le métro qui a explosé à la station de Maelbeek, mais dans un wagon situé à l'arrière du compartiment touché par l'attaque. "On a entendu un énorme boum, on a compris immédiatement que c'était grave. J'étais un peu désorienté, mais quelqu'un a fait un appel au calme en donnant des indications pour tenter de sortir. Je me suis glissé par une fenêtre, et j'ai longé les rails du métro pour parvenir à la station Maelbeek. Il y avait des débris en feu autour de nous", avait-il témoigné après les attentats.
Ce dimanche, Paul ne se trouvera pas à Bruxelles pour participer à la marche. Il voit cependant le rassemblement d'un bon œil. "Il y a un double message, de paix et de tolérance, mais aussi de fermeté et de combativité", nous explique-t-il. Notre témoin pense que l'évènement est important et qu'il peut aider, mais il dit ne pas être naïf. "Il y a des gens pour qui notre modèle de démocratie ne convient pas, et qui veulent instaurer des régimes qui n'ont pas nos valeurs. Il faut être vigilant et ne pas se présenter comme une cible", confie-t-il.
Pour Paul, la marche est un moyen de ne pas oublier toutes les victimes, les blessés et leurs proches. "Beaucoup de personnes sont toujours atteintes sur le plan physique et psychologique. Je pense que la souffrance ira en augmentant au fur et à mesure que la vie reprend son cours. Et les personnes touchées risquent de se trouver face à un mur d'incompréhension. Cette marche peut permettre de ressouder tout le monde", ajoute-t-il.
"Ça permettra de montrer que la vie continue et qu'on n'a pas peur. On n'aura jamais peur"
Alphonse Youla se trouvait également à l'aéroport de Bruxelles lors des attentats. C'est d'ailleurs son lieu de travail: il y est bagagiste. Lorsque les attaques ont dévasté les lieux, Alphonse est immédiatement venu en aide aux victimes pour les sortir du bâtiment. À présent, il essaie de surmonter ce moment difficile. "Je parle beaucoup avec mes amis, j'écoute beaucoup de musique. J'essaie d'oublier ce que j'ai vécu ce jour-là", confie-t-il. Pour lui, la marche peut lui permettre d'aller de l'avant. "Je vais aller à la marche, je pense que ça va m'aider", explique-t-il.
"C'est pour dire ou montrer qu'on ne peut pas céder à la terreur. Si on reste indfférent, sans organiser cette marche, ça ne va pas, sinon ils auront gagné. Ça permettra de montrer que la vie continue et qu'on n'a pas peur. On n'aura jamais peur", conclut Alphonse.
@David Fourmanois
Vos commentaires