Le président du tribunal de première instance de Liège a interdit lundi l'expulsion de 26 ressortissants soudanais détenus au centre fermé de Vottem et leur identification par la délégation soudanaise, a annoncé la Ligue des droits de l'Homme (LDH), qui a déposé une requête unilatérale en matinée. L'Etat belge est condamné à une astreinte de 20.000 euros s'il contrevient à l'une ou l'autre des condamnations principales. Le secrétaire d'Etat à l'Asile, Theo Francken, a annoncé qu'il introduirait une tierce opposition.
Au total, la délégation soudanaise reçue en septembre a délivré 43 laissez-passer pour des ressortissants identifiés. Deux premières expulsions ont eu lieu fin septembre et début octobre. Celle de deux Soudanais vendredi a été suspendue. Des expulsions sur des vols commerciaux sont planifiées depuis lors à hauteur en moyenne de deux personnes par jour.
Le secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration a franchi la ligne rouge
Un recours avait été introduit contre l'expulsion vendredi d'un Soudanais devant le CCE (Conseil du Contentieux des Etrangers). Celui-ci avait jugé la requête irrecevable, car lors de l'audience de samedi, l'avocate s'était opposée à l'acte d'expulsion en lui-même et non à la mesure d'éloignement qui était à son origine. L'intéressé étant détenu au centre fermé de Vottem, comme une large part des Soudanais sous la menace d'une expulsion, la LDH s'es tournée vers le tribunal de première instance de l'arrondissement judiciaire de Liège. Cette instance a donné raison à l'association en invoquant l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme selon lequel nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains ou dégradants.
La LDH estime que cette décision de justice est un signal fort envoyé au gouvernement et plaide pour que cette affaire soit portée au niveau politique. "En concluant un tel accord avec la dictature soudanaise, le secrétaire d'Etat à l'Asile et aux Migrations (Theo Francken) a ostensiblement franchi la ligne rouge dans sa politique où la fin ("nettoyer" Bruxelles) justifie les moyens (rafles programmées, quotas d'arrestations et collaboration avec une dictature)", défend la LDH dans son communiqué. L'association estime que la responsabilité du gouvernement est engagée, étant donné qu'il a couvert ces rapatriements illégaux vers un pays où les violations des droits de l'homme sont nombreuses et dont le président est poursuivi par la Cour pénale internationale.
D'autres Soudanais, sans avocat et détenus dans d'autres arrondissements judiciaires, sont toujours susceptibles d'être expulsés. "Il n'est pas concevable que les expulsions soient maintenues depuis les autres centres fermés, car faire cela reviendrait à s'assoir sur les décisions de justice et se considérer au dessus des lois", estime Alexis Deswaef, président de la LDH.
Un désaveu pour Theo Francken et le gouvernement Michel
Il s'agit d'un revers pour Theo Francken, le secrétaire d'Etat fédéral à l'Asile et la Migration. Le 7 septembre, il avait annoncé que le Soudan était prêt à délivrer des laissez-passer pour permettre le rapatriement de ses ressortissants qui séjournent illégalement en Belgique. Le pays allait pour ce faire envoyer une équipe à Bruxelles permettant l'identification de ces ressortissants. Selon le spécialiste du Moyen Orient, Koert Debeuf, cité par 'De Morgen', il est vraisemblable que cette équipe soit composée d'agents des services secrets soudanais. Selon le cabinet de Theo Francken, sont visés des migrants qui veulent gagner la Grande-Bretagne et ne demandent pas l'asile en Belgique.
Lorsqu'il avait été interrogé sur son choix le mardi 3 octobre, sur les ondes de Bel RTL, Theo Francken avait dit assumer sa décision, qu'il justifiait par le besoin d'éviter une "jungle de Calais" à Bruxelles (ndlr: lieu en France où des milliers de migrants s'étaient regroupés, en espérant pouvoir rejoindre l'Angleterre). "C'est un peu hypocrite. Tous les partis, le PS, la gauche, les Ecolos, disent qu'ils ne veulent pas un deuxième Calais à Bruxelles, pas dans le cœur de l'Europe un Calais. Mais ça c'est l'analyse, c'est la conclusion. Mais après il faut faire des choses pratiques et pragmatiques. Ça veut dire que quand la majorité sont des Soudanais qui ne veulent pas demander l'asile, ils doivent retourner. Et pour avoir des laisser passer, je dois parler avec l'ambassadeur soudanais. Autrement, ils ne retournent pas, ils restent dans le parc, et il y aurait un deuxième Calais! Ce n'est pas correct", avait-il dit. "Est-ce que j'aime avoir des contacts avec le régime soudanais? Non, ça c'est clair, mais je prends mes responsabilités", avait-il encore ajouté.
Pourquoi le Soudan est-il vu comme un pays infréquentable?
Troisième plus grand pays d'Afrique, le Soudan est un pays instable bouleversé par des guerres, comme celle du Darfour. Depuis 1989, le pouvoir est détenu par Omar el-Béchir. Le pays qu'il dirige est régulièrement cité pour les violations des droits de l'homme qui y sont commises. En 2009 et 2010, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré un mandat d'arrêt contre le président el-Béchir pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Le Soudan est en outre une république islamique qui applique la charia. Le pays a également protégé Oussama Ben Laden. Le ministère belge des Affaires étrangères déconseille tout voyage non essentiel dans ce pays.
Le gouvernement soudanais a poussé à l'exode 3 millions d'habitants du Darfour. La guerre qu'il mène dans cette région a fait 300.000 morts. Selon l'organisation des droits de l'homme Human Right Watch, "le gouvernement a bombardé des hôpitaux et d'autres lieux réservés à l'aide humanitaire". Dans son dernier rapport, Amnesty international accuse le régime d'avoir utilisé des armes chimiques.
"En tant que président de la Ligue des droits de l'homme et avocat spécialisé en droit international, je juge ahurissant que M. Francken s'abaisse à collaborer avec une délégation officielle soudanaise relevant des services secrets. Le Soudan est une dictature, son président est poursuivi par la Cour pénale internationale, les violations des droits de l'homme y sont nombreuses. Le taux de reconnaissance important de demandes de protection venant de ressortissants soudanais le prouve", a souligné M. Deswaef, le président de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH).
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