Un sombre système pyramidal déguisé au niveau international, qui sévit depuis plusieurs mois, continue de convaincre certains Belges, surtout dans le nord du pays, à envoyer leur argent on ne sait trop où. Conscients ou non de prendre de gros risques et de contribuer à un concept financier interdit en Europe, ceux qui veulent en savoir plus n'ont pas apprécié la présence de jeunes Belges actifs dans le monde de la finance, et qui ont tenté de dénoncer la supercherie lors d'une des présentations récentes en Flandre. Nous avons discuté avec celui qui est à l'origine de cette dénonciation, Stefan Willems.
Nous vous parlons régulièrement des systèmes pyramidaux, qui ont connu une explosion avec l'usage croissant du web ces dernières années. GetEasy, Profits25 ou Bonofa… la forme change à chaque fois, mais le fond reste strictement identique, à savoir un 'ponzi' tout ce qu'il y a de plus classique.
Vous êtes recrutés et donnez de l'argent pour rentrer dans le système, et cet argent remonte la pyramide jusqu'aux 'managers', sucrant un peu tout le monde au passage. Pour gagner de l'argent, il faut recruter des membres, qui donneront eux-mêmes de l'argent et recruteront d'autres personnes. Si la pyramide tient assez longtemps et que vous parvenez à convaincre beaucoup de connaissances, qui en font de même, alors en effet, il y a des euros, par centaines ou milliers, qui arrivent théoriquement sur votre compte. Si ce n'est pas le cas, vous perdez tout l'argent investi.
On parle de système pyramidal "déguisé", tout d'abord car c'est interdit et puni par la loi, et ensuite parce que les escrocs à l'origine de l'arnaque maquillent leur activité frauduleuse, utilisant un alibi, un faux produit dans lequel les gens investiraient leur argent, et qui leur assurerait un retour sur investissement rapide et record…
Questra sévit en Flandre: quel est son "déguisement" ?
Si nous vous en reparlons aujourd'hui, c'est parce qu'un nouveau système pyramidal déguisé connait toujours son petit succès en Belgique, surtout dans le nord du pays, malgré les avertissements. Son nom: Questra. Le produit acheté qui soi-disant justifie les gains: un mélange obscur de spéculation sur des introductions en bourse, des restructurations de dettes, etc.
En cherchant un peu, on comprend que Questra fait partie d'un réseau de soi-disant sociétés financières: avec sa 'maison mère' Atlantic Global Asset Managment (signalée ici par la FSMA, le gendarme financier belge, qui la considère comme une 'boiler room', une escroquerie à l'investissement), il est vaguement question de fonds financiers gérant les grandes fortunes de ce monde. Et miracle: n'importe qui pourrait avoir sa part du gâteau…
Active dans bien des domaines financiers, l'AGAM promet des bénéfices... inédits
Questra prétend obtenir un rendement autour de 6% par semaine – avec paiement hebdomadaire des gains - en commercialisant divers produits financiers. C'est un taux très important: avec des placements intelligents en bourse, on parle de 5% sur base annuelle ! Ce qui prouve la grande mascarade, c'est que la justification des gains est toujours différente, selon les nombreux sites web qui évoquent les incroyables rendements de Questra: produits financiers, investissement en bourse, administration de bien, transactions commerciales, etc. Des termes flous pour endormir les victimes potentielles.
Certains sont un peu plus sérieux et avouent qu'il s'agit de 'marketing de réseau' (MLM), une manière légale de vendre en se constituant un réseau (un peu comme le concept des réunions Tupperware), mais qui doit obligatoirement vendre quelque chose.
Pourquoi y a-t-il tant de sites web qui parlent de Questra ? Parce que derrière ces sites se cachent des recruteurs, des "parrains". Il y a dans ces soi-disant présentations du concept Questra un lien permettant de s'inscrire (pour ensuite acheter des 'package'), et qui mentionne un code, celui du recruteur qui agrandira ainsi sa pyramide et s'assurera des bonus, des gains.
Dénoncer la supercherie
Certains recruteurs organisent même des réunions d'information. C'est là que notre article devient intéressant: pour dénoncer la supercherie, des jeunes Flamands actifs dans le monde de la finance ont infiltré un de ces meetings, il y a quelques semaines.
Stefan Willems n'y était pas, mais il est à l'origine de l'action et veut dénoncer cette nouvelle arnaque pyramidale. Cet étudiant en Master orientation finances, ancien journaliste financier à Bolero, est actuellement membre du conseil d'administration de Capitant Brussels, une association d'étudiants en finance.
"Avec des connaissances du milieu financier, on a parlé de Questra il y a quelques mois. On n'a pas eu besoin de se convaincre l'un l'autre que c'était une arnaque, car il y a beaucoup de signaux d'alerte. Cependant, on a été en contact avec d'autres personnes qui avaient des doutes à propos de Questra, et qu'on voulait aider", nous a-t-il expliqué.
Stefan a commencé à faire quelques recherches sur Questra, et comme nous, il a vite découvert qu'il n'y avait que de la poudre aux yeux, et un grossier système pyramidal déguisé.
Les amis de Stefan ont assisté à cette réunion, d'où ils ont été éjectés rapidement
Expulsé d'une soirée de présentation par la police
Il a ensuite décidé, avec ses connaissances, d'infiltrer une soirée de présentation en Flandre, à laquelle il n'a pas lui-même assisté. "Mes amis ont réussi à avoir l'adresse via Facebook, car ils ne connaissaient pas personnellement de personne de contact chez Questra. Ils ont posé des questions du genre 'comment générez-vous de l'argent' et 'comment pouvez-vous offrir un rendement de 6% chaque semaine alors que des actions rapportent seulement 6 ou 7% par an'. Les questions étaient assez simples, mais ceux qui animaient la présentation ne savaient pas répondre".
Mais les amis de Stefan insistent. "Ils ont continué à poser des question, et cela a perturbé les spectateurs et les présentateurs, ils trouvaient tous cela irritant et sans intérêt". Les choses ont ensuite dégénéré.
"Après une petite pause, la police a été appelée et mes amis ont dû quitter la salle". Les policiers, à qui ils ont expliqué le but de leur présence, leur ont conseillé de démarrer une (longue) procédure par le biais du SPF Economie.
Ils ciblent ceux qui veulent y croire
Le plus frappant dans cette expérience, comme le raconte Stefan, c'est que "ce ne sont pas spécialement les organisateurs qui nous ont empêchés de mettre en garde les gens: c'est le public lui-même qui, irrité par nos questions, a fait front avec les organisateurs".
"Le fait que la police ait été appelée et que, de ce fait, nous ayons été considérés comme les 'méchants', a renforcé la position de Questra et a convaincu les 40 personnes encore présentes que le management était dans son droit et que nous étions des éléments perturbateurs". Une dame "un peu âgée" qui assistait à la présentation "a même essayé de subtiliser le smartphone d'un de mes amis qui filmait la scène".
Le système pyramidal à peine caché lors d'une présentation
Comme tous les systèmes pyramidaux ou sites de trading en ligne un peu louches qui promettent monts et merveilles en ne faisant que très peu d'efforts, Questra cible en effet son public. Des gens qui veulent y croire, à tout prix.
"La sélection individuelle des candidats veille à ce que les personnes trop critiques soient exclues".
C'est la raison pour laquelle Stefan et ses amis ne sont pas parvenus à convaincre certaines personnes de leur entourage qui ont mis les pieds dans l'arnaque de Questra. "En effet, ceux que nous ne sommes pas parvenus à convaincre sont même devenus agressifs envers nous. La plupart du temps, ils avaient déjà investi des sommes parfois importantes dans Questra. Certains nous ont avoué que même si c'était un système pyramidal, c'était leur choix de participer et qu'on n'avait pas le droit de 'ruiner leur amusement'. Pour certains, c'était un pari, d'autres pensaient réellement que Questra était un bon investissement".
Où va l'argent investi par les "victimes" ?
Selon les estimations de Stefan, certains Belges ont effectivement gagné de l'argent sous forme de bonus, de crédits sur leur compte Questra, car ils ont réussi à recruter beaucoup de gens. Rien ne dit cependant que ces bonus seront effectivement transformés en versement sur leur compte en banque.
Un Belge, un certain Rudi, serait l'un de meilleurs dans la région: voici l'un de ses "bonus"
Car il y aura des victimes (à moitié consentantes pour la plupart, on l'a vu), c'est sûr. Dans les systèmes pyramidaux, l'argent bien réel et versé par les nouveaux n'est généralement capté que par ceux qui se font appeler les 'managers' ou les 'directeurs' (tous anonymes, comme par hasard). Cet argent va dans leur poche d'une manière ou d'une autre, bien sûr, mais il est aussi dépensé, on l'imagine, dans les sites web nécessaires pour que les utilisateurs gèrent leur compte (leur pseudo "fond"), et dans la création de séquences publicitaires diffusées sur les réseaux sociaux.
Il faut aussi acheter des affichages Questra et du matériel promotionnel pour placarder sur certains bureaux en Espagne ou au Portugal, et pour faire les présentations un peu partout dans le monde. L'idée est d'entretenir l'illusion d'un concept sérieux et professionnel.
Avec l'argent versé par les nouveaux membres, les escrocs se permettent également des meetings à Dubaï, dans le but alors de vendre du rêve. Car les arguments, que nous avons déjà observés attentivement avec d'autres arnaques du genre, sont toujours les mêmes: de l'argent facilement gagné, la fortune à portée de mains, des 'séminaires' dans des beaux hôtels, des bonus sous forme de voitures de sport. Il y a souvent cette autre idée, cette promesse que le concept est une opportunité exceptionnelle d'anticiper les bons filons de l'avenir. On voit souvent les mentions "The Future Is Now" ("Le futur, c'est maintenant") avec Questra, comme dans les autres systèmes pyramidaux.
C'est de la poudre aux yeux, bien entendu, souvent très grossièrement ou naïvement jetée à la figure des innocents. Mais ça suffit à convaincre… ceux qui veulent vraiment y croire.
"Je ne connais pas l'ampleur du problème en Belgique, on parle d'une perte totale d'un montant de 7 chiffres (au moins un million d'euros, donc), et un petit millier de personnes ayant perdu de l'argent. Les estimations sont difficiles, car les clients ont mis leur argent dans un 'fond' pour un an, donc ils ne se voient pas encore comme victime pour l'instant".
Mais il est certain que, comme toutes les arnaques pyramidales que nous avons dénoncées, le château de cartes finit par s'écrouler, et tout est perdu. Evitez donc ce genre d'arnaque comme la peste, et à tous ceux qui ont voulu jouer le jeu, un conseil: retirez votre argent le plus vite possible…
Aux dernières nouvelles, Stefan avait appris les détails de l'organisation d'un meeting des Belges les plus actifs dans Questra, à Berlin, le 6 mai. Il allait peut-être s'y rendre pour en savoir plus...
Un "meeting" à Dubaï, un pays qui correspond bien à ce genre de business 'poudre aux yeux'
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