Il a vécu 7 ans jour et nuit en forêt. Geoffroy Delorme a raconté son histoire dans un livre. Il est venu en parler ce jeudi dans le RTLinfo Bienvenue.
Dès l’enfance, il a par choix décidé d’étudier à domicile et sa chambre donnait sur la forêt. Il y est allé de plus en plus et un jour, à 19 ans, il a décidé d’y vivre. "Au début c’était pour faire une petite expérience de 15 jours, c’était pas fait pour toute une vie. Et pendant ces 15 jours-là j’ai rencontré un chevreuil et je l’ai appelé Daguet. C’était une rencontre vraiment magique. On s’est croisé à quelques mètres l’un de l’autre. Et il y a quelque chose qui s’est passé. Il est rentré dans la forêt et j’ai senti comme une espèce de petite invitation. Dans la journée, j’allais chercher des petites feuilles de ronces, j’essayais d’adapter mon corps à l’alimentation végétale, et Daguet était dans le roncier dans lequel j’étais en train de manger. Et j’ai vu qu’il m’observait donc je suis reparti. Et le soir dans la clairière, je revois Daguet qui fait des allers-retours et qui s’approchait un petit peu plus de moi parce qu’il était très intrigué par ma présence. C’est lui qui a fait tout le travail d’apprivoisement en fait."
L'essentiel pour survivre: couteau, bougie, allumettes, pulls en laine et chaussures en Gore-Tex
Comment on survit ? "Au début, c’est une immersion qui est très très lente. Donc je revenais dans la maison familiale pour pouvoir rechercher des boites de conserve, le temps que le corps puisse s’adapter. Et puis pendant l’année en totale autonomie, où là j’ai vécu sans rien d’humain, là j’avais le strict nécessaire. Un couteau pour la survie, des bougies, des allumettes. Parce que l’avantage d’une bougie c’est que vous allez craquer l’allumette, allumer la bougie, parce qu’une allumette ça s’éteint vite et allumer un feu avec une bougie en hiver c’est très compliqué. Avec très peu de matériel on arrive à avoir chaud. Des pulls en laine surtout, différentes couches. Ça permet de vraiment se sauver la vie. Et des bonnes chaussures en Gore-Tex."
Suivre les chevreuils pour se mettre à l'abri
La pluie s'est révélée pire que le froid… "Parce que le psychologique joue beaucoup quand on est dehors. On est face à soi-même et quand il fait froid, c’est un petit peu comme quand vous voulez faire prendre le bain à un bébé, vous mettez le coude dans le bain avant de mettre la main parce que le coude est beaucoup plus sensible. Donc pour le coup le corps s’habitue très rapidement au froid. Mais l’humidité, elle, est très pénétrante. Et si en plus de ça on a du vent, c’est encore pire. Donc il faut trouver les meilleurs endroits dans la forêt pour se cacher du vent, s’isoler, et les chevreuils ont été d’un grand secours de ce côté-là parce que je les voyais quand il y avait une tempête partir dans les forêts de pin et de sapins où là les intempéries sont beaucoup plus freinées parce que voilà, ils ont des aiguilles, ils ne perdent pas leurs feuilles, et surtout ils font un énorme rempart au vent."
La cabane, pas une bonne idée à long terme
Pourquoi pas une cabane ? "Au début j’avais une cabane mais les gamins venaient dans la cabane pour jouer dans la journée. Tous les promeneurs dans la forêt venaient voir parce que c’était une cabane qui était bien faite. C’était fait avec du brêlage, voilà. Mais c’est très dur à entretenir. Il faut toujours refaire l’étanchéité si on ne se prend pas les paquets de boue sur la tête quand il pleut. Donc ce n’est pas toujours très agréable donc j’ai abandonné le principe de la cabane pour inverser mon rythme biologique."
Il dormait comme les chevreuils
Il a alors dormi de manière morcelée. "En fait on va dormir une heure. On va aller grignoter deux-trois feuilles à droite et à gauche, puis on revient et on redort. Mais il faut aussi prendre en compte la saisonnalité. En été on va vraiment dormir beaucoup plus pendant la journée." Son corps s’est adapté : "C’est vraiment tout le principe de l’immersion écologique. En fait c’est comment on fait pour transformer son corps par le biais de sa propre conscience." Il explique aussi avoir perdu cette sensation de boire une gorgée d’eau. "J’avais toujours la possibilité. Parce que c’est une forêt secondaire, ce n’était pas une forêt primaire isolée de tout. C’est une forêt normande. Il y avait deux cimetières et une station de captage d’eau que j’utilisais pour aller chercher des gourdes. Mais on n’a pas besoin de boire parce que comme on a mangé des végétaux le matin et le soir. Que c’est en Normandie, il pleut très souvent. Ben forcément on boit en même temps qu’on mange."
Apprentissage dans des livres et en observant les chevreuils
Il a appris "plus en observant" les chevreuils parce que "ce ne sont pas forcément des très très grands profs. Parfois un coup de museau oui. On jouait avec Chévi, je voulais manger un petit peu de plantain et lui il le voulait donc il faisait celui qui était très territorial et qui voulait absolument manger ma plante. Mais en fait il s’en fiche complètement. C’est vraiment par les livres avant de partir que j’ai réussi à savoir quoi manger. Des livres comme ceux de Nicolas Vanier, de Jane Goodall, qu’on apprend d’un côté l’éthologie, de l’autre un peu la survie. On essaie de faire un mix avec toutes ces connaissances-là. Et puis le reste on teste directement sur place. Il y a eu des petits accidents…", concède-t-il.
Une véritable amitié avec les animaux
Les chevreuils sont devenus ses compagnons d’aventure et il dédie son livre à Chévi : "Mon meilleur amis tu m’as appris à voir, à sentir, à aimer, à devenir moi-même." "C’était un ami. Un petit peu comme quand vous récupérez un chien à la SPA. Qu’il a peut-être été battu ou qu’il n’a pas eu une vie très très heureuse, et que d’un coup vous découvrez une personnalité. Ce n’est pas pour autant que vous allez lui prêter des sentiments humains. Il faut de toutes façon faire la différence. En aucune cas il ne va vous allumer votre cigarette ou faire la vaisselle. Mais il y a cette espèce de relation intime qui va naitre entre une personne non-humaine qui a subi des actes parfois malveillants, et vous. Et cette découverte-là devient vraiment très amitieuse." Il a d'ailleurs donné un nom à chaque chevreuil. Et un moment très émouvant du livre, c’est quand il raconte la première fois où il a caressé Daguet.
Faudrait poser la question aux chevreuils
Mais finalement, pourquoi les chevreuils et pas les sangliers ou les renards, blaireaux ou écureuils ? "Faudrait poser la question aux chevreuils en fait. Parce que ce sont eux qui m’ont sélectionné plus que moi qui les ai sélectionnés. C’est vraiment la rencontre qui a fait ça. Et puis les chevreuils sont très curieux par rapport à d’autres animaux qui ne s’intéressent pas forcément à leur environnement ni aux autres êtres de la forêt, les chevreuils sont très intrigués par notre mode de vie. C’est pour ça qu’on les retrouve d’ailleurs le long des jardins ou près des autoroutes. Ils s’adaptent à une vitesse incroyable à notre mode de vie et ils ne sont pas contre du tout de vivre avec nous."
Des parents qui n'ont pas compris et une compagne surprise qu'il cherchait à faire fuir !
Ses parents n’ont pas du tout accepté ce style de vie. "Comme dans toutes les familles il y a des conflits. On se perd de vue. C’est comme ça, c’est la vie. Je ne juge personne. Et de toute façon j’y serais allé."
Ce qui l’a fait sortir du bois ? Sa compagne… Après 7 ans sans avoir parlé à quelqu’un, il se dit qu’il va aller parler à une promeneuse. "C’est plus compliqué que ça. En fait j’étais avec Daguet et ce chevreuil-là avait énormément de mal à traverser les chemins. Et quand on traverse un chemin avec un chevreuil ça peut prendre une heure ou deux heures. Et si en plus sur ce chemin là il y a des humains qui passent avec des motocross, des VTT, des coureurs sportifs, ça ralentit obligatoirement cette traversée. Et là on avait attendu toute la journée de traverser ce chemin et impossibilité à cause de l’activité humaine. Et le soir, au moment où on était sur le point de traverser, je vois fond quelqu’un qui se promène avec son chien et je me dis « oh non, c’est pas possible ». Et donc je suis allé voir cette personne-là pour lui dire qu’il y avait un énorme sanglier qui était tout en haut. Parce que le coup du sanglier ça marche à tous les coups. Tout le monde en a peur. Et elle m’a dit 'vous avez raison, je vais faire demi-tour'. Et là petite erreur de ma part, je l’ai raccompagnée." Et il en est tombé amoureux d'abord par "son odeur en fait. Elle avait un parfum très sucré, un petit peu une odeur de violette."
Il a quitté la forêt pour elle, mais "je pense que j’aurais quitté la forêt de toute façon même sans cette rencontre mais l’intégration vers la société humaine aurait été totalement différente. Elle m’a elle, pour le coup, comme Daguet, ouvert les portes de la société humaine."
Désormais, une adaptation de sa vie au cinéma est en projet.
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