Disparition des abeilles, lutte pour "l'or bleu" ou pénurie d'essence: la "climate-fiction", cousine de la science-fiction, a le vent en poupe dans les librairies et à l'écran.
Au cinéma, l'humanité devenue stérile dans "Les Fils de l'homme" (Alfonso Cuaron, 2006) et la Statue de la Liberté congelée par une nouvelle ère glacière dans "Le Jour d'après" (Roland Emmerich, 2004) illustrent bien les futurs proches servant de cadre à la "climate-fiction".
Mais ce courant n'a été baptisé qu'au tournant des années 2010, par Dan Bloom. D'après ce journaliste américain, il progresse "à la vitesse de l'éclair" depuis "environ cinq ans", notamment "en réaction à Donald Trump" et aux climatosceptiques.
"La +cli-fi+ est un sous-genre de la science-fiction" précise Andrew Milner, professeur de littérature comparée à l'université Monash de Melbourne. "Ses auteurs, lecteurs, éditeurs et réalisateurs s'identifient à la tradition de la science-fiction." S'il estime que la "cli-fi" doit encore évoluer pour "devenir autonome", il note aussi qu'elle se développe "très rapidement".
"Ce développement répond à des préoccupations du monde réel" explique J.R. Burgmann, également professeur à Monash et coauteur de "Science fiction and climate change : a sociological approach" avec Andrew Milner. "La littérature a été assez lente à s'emparer du changement climatique, mais elle rattrape son retard".
- Phénomène mondial -
Venu des pays anglophones, un vent de "cli-fi" souffle partout dans le monde. En France, les séries "La Dernière Vague" sur France 2 et "L'Effondrement", à partir de lundi sur Canal+, illustrent sa popularité grandissante. Mais il ne s'agit que de la partie émergée d'un iceberg d'abord littéraire.
En témoigne "Une histoire des abeilles" de Maja Lunde, best-seller 2017 en Allemagne traduit dans une trentaine de langues, racontant une société où les fleurs doivent être pollinisées à la main. "Je pense que nous verrons plus de ces livres dans les années à venir", car "les gens sont de plus en plus préoccupés par le changement climatique et les auteurs écrivent sur ce qui leur fait peur" déclarait-elle à l'AFP en 2018.
En effet, le courant semble s’accélérer.
Dans "L'île" de Sigridur Hagalin Björnsdottir (2018), l'Islande se retrouve coupée du monde et tente de vivre en autarcie. "Dans la forêt" de Jean Hegland (grand succès en 2017 de la traduction en français) raconte la survie de deux jeunes filles dans un monde sans électricité ni essence. Les Américains Paolo Bacigalupi et Claire Vaye Watkins explorent, eux, le thème de la sécheresse et de la bataille pour "l'or bleu" dans "Water Knife" (2015) et "Les Sables de l’Amargosa" (2017).
Le genre fleurit aussi en littérature jeunesse sous les plumes de Jérôme Leroy dans "Lou après tout, Le grand effondrement" (2019) et de Lorris Murail dans "L'Horloge de l'Apocalypse" (2018). "D'un certain point de vue, il ne peut plus y avoir d'autre sujet" résume ce dernier, "même si les jeunes lecteurs ont parfois l'impression qu'on leur fait la morale".
- Incontournable -
"C'est devenu difficile de faire l'impasse sur le sujet" estime Jean-Marc Ligny, grande plume de la science-fiction et principal auteur "cli-fi" en France avec "Aqua TM" et ses suites. Pour lui, "le changement climatique a besoin d'histoires, les lecteurs ont besoin qu'il soit mis en scène. Les chiffres, les statistiques, ça ne leur parle pas. La +cli-fi+ permet de mieux prendre conscience de la situation".
"Aujourd'hui, un auteur de science-fiction ne peut pas passer à côté de la question" abonde Yann Quero, auteur français de plusieurs ouvrages "cli-fi" et coordinateur de l'anthologie "Le réchauffement climatique et après..." aux éditions Arkuiris. "Même dans un space opéra, on peut se demander pourquoi l'humanité va essaimer dans les étoiles."
S'ils est devenu central récemment, le thème de la dégradation de l'environnement est néanmoins exploité dans la "SF" depuis plus de 50 ans, comme dans "Sécheresse" de J.G. Ballard (1964) ou "Le Troupeau Aveugle" de John Brunner (1972). Une œuvre aussi ancienne que "Les Raisins de la Colère" (1934) est considérée comme pionnière, puisque John Steinbeck y raconte les ravages des tempêtes de poussière provoquées par la surexploitation des terres agricoles en Oklahoma.
Vos commentaires