RTL info a réussi à se procurer deux smartphones BlackBerry: le KEYone et le Motion. La célèbre marque canadienne est apposée sur ces appareils Android. Que cela signifie-t-il réellement ? Et qu'est devenu BlackBerry ces dernières années ?
L'histoire de BlackBerry, comme celle de Nokia, est révélatrice d'une erreur assez classique dans le monde de l'entreprise: quand on est N.1, on ne voit pas assez vite le potentiel de la concurrence, on ne se pose plus assez de questions.
L'arrivée de l'iPhone en 2007, et le développement rapide d'Android dans la foulée, sont à l'origine d'une révolution numérique. Le smartphone est devenu un ordinateur de poche facile et agréable à utiliser, les applications très simples à (dés)installer. Les développeurs se sont engouffrés dans ce nouveau marché pour proposer des milliers de solutions qui ont accéléré la transition numérique d'innombrables services (banque, voyage, messagerie, jeu vidéo, réseaux sociaux, etc).
BlackBerry et Nokia, alors leaders sur le marché des GSM et de la communication mobile (BlackBerry était le seul à proposer de l'instantané au niveau des emails ou de la messagerie, par exemple), n'ont pas cru à l'iPhone ni à Android. Ils ont continué à travailler à leur manière, avec leur propre système d'exploitation. Mais bon nombre de fidèles ont fini par aller voir ailleurs, vers la modernité. Le nombre d'utilisateurs de Nokia et BlackBerry a logiquement baissé. Les développeurs ont fini par bouder ces deux OS impopulaires et moins conviviaux pour le grand public.
C'était le début de la fin et la suite, la voici: la division téléphonie mobile Nokia a été rachetée par Microsoft (2011), qui n'a pas réussi à imposer son Windows Phone et a fini par céder l'exploitation de la marque à HMD Global (2016), qui commercialise désormais la marque Nokia à travers des appareils sous Android de bonne qualité, fabriqués en Chine par une filiale de Foxconn.
La suite de BlackBerry a été tout aussi mouvementée. Après plusieurs solides restructurations, la partie hardware a été confiée en partie, dès 2016, à un autre géant chinois de l'électronique, TCL Corporation, qui fabrique également les appareils de la marque Alcatel (et des télévisions, des frigos, etc). BlackBerry existe encore, mais ses employés (4.000 au lieu de 19.000 en 2011) se concentrent sur les services informatiques (logiciels sécurisés principalement).
Le KEYone avec son clavier physique pour le moins original
Le KEYone (599€), le Motion (469€)
La petite parenthèse historique terminée, place aux smartphones que RTL info a pu se procurer: le BlackBerry KEYone et le Motion. Après les plus basiques DTEK 50 et 60, il s'agit des derniers smartphones portant la marque BlackBerry et disponibles à la vente, même s'il ne faut pas s'attendre à en trouver en tête de gondole chez Media Markt, qui n'en commercialise d'ailleurs plus aucun (il faut aller à la Fnac).
Le KEYone a été lancé sur plusieurs marchés internationaux en 2017. C'est en réalité le smartphone que BlackBerry aurait dû sortir il y a 10 ans: un appareil Android sécurisé avec écran tactile, mais avec un clavier physique AZERTY en-dessous.
La finition est très correcte dans son ensemble, même si on a l'impression d'avoir affaire à un appareil datant d'il y a quelques années. Il est inutilement lourd et encombrant, alors que techniquement, à part un clavier physique, il est digne d'un milieu de gamme: processeur Snapdragon 625, 3 GB de RAM, 32 GB de stockage interne, caméra 12 MP et Android 7.1. L'écran a forcément un ratio inédit de 3:2, affichant 1690 x 1050 pixels. Il a été lancé à 599€, prix actuel à la Fnac en Belgique, mais on le trouve à 499€ sur Rueducommerce, un site français sérieux (groupe Carrefour) qui livre en Belgique.
Notre impression est mitigée. Même après deux jours d'utilisation, on a du mal à trouver du sens au clavier physique. Sur les formats de smartphone d'il y a quelques années, il était en effet parfois plus pratique d'avoir des touches physiques plutôt que des touches tactiles. Mais désormais, avec des téléphones d'une diagonale moyenne de 5 pouces, il y a toute la place pour un clavier virtuel confortable. Les touches physiques du KEYone semblent petites et trop proches les unes des autres, et surtout il faut maintenir la flèche SHIFT enfoncée pour écrire une majuscule, et ALT pour un chiffre. Oubliez également les émojis, qui devront s'afficher sur l'écran tactile au-dessus du clavier. Rien de très pratique, finalement. Pour la petite histoire, sachez que le capteur d'empreintes qui déverrouille est intégré dans la barre d'espace, ce qui est plutôt une bonne idée.
Le dos du KEYone
Passons directement au Motion, qui vient de sortir. Il n'est d'ailleurs pas encore disponible à la vente chez nous. Il est déjà sorti sur d'autres marchés, notamment aux Etats-Unis. Inutile de préciser que l'Europe n'est pas la cible principale de BlackBerry. Le Motion est un appareil nettement plus commun: il tourne également sous Android mais il est entièrement tactile, comme n'importe quel concurrent.
Sa fiche technique est à peine meilleure que celle du KEYone, hélas. Le Snapdragon 625 n'est pas assez puissant pour assurer une fluidité de tous les instants, mais il y a 4 GB de RAM (32 GB de stockage interne), une grosse batterie de 4.000 mAh et une étanchéité certifiée. La touche avec le logo BlackBerry fait office de bouton d'accueil et de capteur d'empreintes. Le design est plus moderne que le KEYone, et même très réussi au niveau de la double courbure, mais le Motion est encore un peu pataud, encombrant. Il a néanmoins ce look "pro" que les BlackBerry ont toujours aimé véhiculer. Les deux boutons Android sont à côté du bouton d'accueil, ce qui permet d'économiser de la place.
Le Motion, nettement plus classique
Que reste-t-il de propre à BlackBerry ? Du logiciel…
En 2018, que représente BlackBerry ? C'est toute la question. Il y a bien entendu le clavier physique du KEYone mais on l'a dit, il a plus d'inconvénients que d'avantages. Amusant cependant: on peut donner à chaque touche du clavier le rôle de raccourci vers une application (le R pour RTL info par exemple). Niveau matériel, BlackBerry garde la touche dédiée sur la tranche. Il s'agit d'une touche supplémentaire sur la tranche qui peut être configurée de différente manière: pour bloquer le micro lors d'un appel, ou pour lancer l'appareil photo.
Passons donc au logiciel, où il y a en effet quelques fonctions inédites, et qui peuvent faire la différence. Il y a ce Hub, qui se lance avec l'icône de messagerie, et qui a été inauguré il y a quelques années avec BlackBerry OS 10. Cet écran rassemble de manière chronologique tous les messages (SMS, emails) et notifications de vos réseaux sociaux. Plutôt pratique d'un côté, il a cependant tendance à faire double usage avec le volet de notifications d'Android. Son avantage: il rassemble tout, et garde en mémoire ces notifications et ces messages. Vous pouvez par exemple faire des recherches ciblées, ou afficher certaines vues spécifiques (que les emails, que les notifications, etc).
Le Hub, qui rassemble tous vos messages et notifications Twitter/Facebook
A côté de ça, il y a la suite d'applications maison de BlackBerry: Work, Contacts, Calendrier, Tâches, etc. Des applis qui font un peu doublon avec celle d'Android, mais qui s'intégreront mieux dans l'espace sécurisé de BlackBerry, et surtout dans le Hub.
L'idée de base est de privilégier la sécurité et la protection des données. Exemple: il y a cette option (BlackBerry Privacy Shade) qui permet d'assombrir l'écran, ne laissant qu'une petite fenêtre éclairée, ce qui permet de lire un email discrètement, sans que quiconque autour ne puisse zyeuter. Il y a le 'Casier', soit l'explorateur de fichiers, accessible uniquement en traçant à nouveau un schéma ou en entrant un code PIN. Ou 'Password Keeper', pour garder et protéger ses mots-de-passe. Le correctif de sécurité d'Android est bien sûr à jour (5 février 2018 au moment d'écrire cet article).
Le 'Privacy Shade'
La productivité est également de mise, avec en bordure de l'écran d'accueil, un volet de raccourci affichant les infos importantes au niveau calendrier, messages, tâches et contacts. Les applications maison et quelques autres ont également la possibilité (via les trois petits points) de lancer un widget quand on balaie l'icône vers le haut. Par exemple, pour le calendrier, les évènements imminents sont affichés rapidement, plutôt que toute l'application.
De bonnes options, mais il est essentiel de préciser que n'importe quel smartphone Android peut se transformer en BlackBerry, car les applications et fonctions dont on vient de parler sont disponibles sur le Google Play Store, et même le 'launcher', qui permet de modifier en profondeur l'apparence et les options de l'écran d'accueil (avec notamment le volet de raccourcis, les widgets d'icône, etc). Si l'installation de ces applications BlackBerry sur des smartphones non BlackBerry est gratuite, il faut payer pour les conserver (0,99€ par mois) après la période d'essai de 30 jours.
Conclusion
BlackBerry, aucun doute, est devenu une entreprise de logiciels. Les nombreuses applications de BlackBerry et la surcouche appliquée à Android le rendent nettement plus 'pro' que les autres marques, particularité des BlackBerry de l'époque. Ça a du sens, c'est stable, original et bien pensé. Notez bien que tous les utilisateurs Android peuvent en profiter très simplement en téléchargeant tout ça sur le Google Play Store, mais ils devront payer après 30 jours de test (0,99€ par mois).
Pour le matériel, en revanche, il est plus difficile de s'enthousiasmer. Les performances moyennes du KEYone (2017, 599€) et Motion (2018, 469€) sont trop moyennes, à cause d'une puce qui date (Snapdragon 625). Le design fait aussi 'pro', mais il nous semble un peu éculé et manquant de finesse. Le rapport qualité prix devient donc délicat, même si les smartphones BlackBerry sont équipés nativement de la suite d'applications de la marque et ne doivent forcément pas payer l'abonnement mensuel.
A la limite, le clavier physique du KEYone pourra attirer les nostalgiques, ceux qui n'ont pas encore eu le temps de s'habituer à un clavier virtuel.
Le "retour" de BlackBerry dans le segment des smartphones moyen/haut-de-gamme est donc une réussite mitigée. Les deux appareils plairont aux afficionados de la marque, et pourraient convaincre les entreprises mais il y a un gros travail de marketing à réussir de ce côté-là. Pour le grand public, les arguments ne sont pas très convaincants, alors que la concurrence est acharnée dans cette gamme de prix…
Le KEYone:
Le Motion:
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