Le 18 octobre dernier, la chaîne de télévision franco-allemande Arte diffusait un reportage engagé dans lequel des chercheurs remettent en question le lien entre le cholestérol et les maladies cardio-vasculaires. La réalisatrice Anne Georget retrace l’histoire de 60 ans de recherche scientifique qui ont désigné ce lipide à la vindicte médicale et populaire. La société française de cardiologie, la Ligue cardiologique belge et l’Association Belge de l’Hypercholestérolémie Familiale s'indignent de la diffusion d'un tel documentaire.
Le cholestérol, cause majeure des accidents cardio-vasculaires ? Une majorité de scientifiques l’affirme. Mais certains chercheurs vont à contre-courant de cette pensée dominante. La réalisatrice Anne Georget a donné la parole à ces derniers dans un documentaire intitulé "Cholestérol : le grand bluff". Fruit de trois ans d’investigation, le film tend à disculper le cholestérol de la mortalité cardiovasculaire. Un sujet très sensible puisqu’en Belgique, comme dans d’autres pays industrialisés, les maladies cardiovasculaires constituent la première cause de décès.
Des contre-exemples passés sous-silence ?
D’après la thèse défendue par le documentaire, l’erreur de diagnostic trouve son origine dans les études menées par le nutritionniste Ancel Keys dans les années 50. Le chercheur aurait sélectionné 7 pays dont les données valident son point de vue selon lequel les taux de cholestérol et d’infarctus sont en corrélation. Mais il a exclu par exemple la France, dont la consommation de matière grasse est forte, et le taux d’infarctus faible. "C’est de la très mauvaise science !", dénonce un chercheur interviewé dans le film. Avec de nombreuses images d’archives, Anne Georget montre comment les conclusions d’Ancel Keys ont été largement relayées, notamment dans certaines publicités de l’industrie pharmaceutique ou alimentaire.
L'industrie agro-alimentaire aurait influencé la recherche à son profit
Le docteur Dominique Dupagne, médecin généraliste et journaliste médical, souligne "une véritable convergence d’intérêts entre l’industrie agro-alimentaire et les prohibitionnistes du cholestérol". Les entreprises de ce secteur auraient cherché à diaboliser les graisses saturées pour développer le marché juteux des aliments utilisant des huiles végétales. Cristin Kearns, chercheuse en Santé Publique, affirme notamment que l’industrie sucrière a subventionné des recherches, dès les années 1960, pour détourner l’attention du sucre et faire du cholestérol le coupable idéal des maladies cardiaques.
Les médicaments pour faire baisser le cholestérol jugés inutiles et dangereux
"Le dogme s’impose, raconte le documentaire. Plus le taux de cholestérol est bas, mieux c’est". Les statines, des médicaments qui permettent de faire baisser ce taux, sont devenus les médicaments les plus consommés dans le monde.
Le Docteur Michel de Lorgeril, médecin chercheur au CNRS, dénonce leur usage. Il explique que depuis 2004, quand les autorités sanitaires ont imposé de nouvelles réglementations sur les essais cliniques des médicaments, les essais cliniques des statines n’ont plus montré aucun bénéfice.
Au contraire, ces médicaments favoriseraient le dépôt de plaques calcifiées dans les artères, alors que cette quantité de calcium est "considérée par certains comme le meilleur prédicteur de risques cardio-vasculaires." De plus, les statines entraîneraient des troubles de la mémoire et des troubles du sommeil : des effets secondaires "complétement sous-estimés aujourd’hui", estime le chercheur.
"Les firmes privées conduisent les essais cliniques pour promouvoir la vente de leurs médicaments"
Le Dr Ambramson, médecin généraliste et chercheur à l'université d'Harvard, pointe du doigt les liens entre les experts et les laboratoires pharmaceutiques qui produisent les statines : "85% des essais cliniques, et même 97% des essais les plus importants, sont sponsorisés par les labos privés. Or, on a calculé qu’il y a cinq fois plus de chances qu’on trouve un effet positif aux médicaments lorsque l’essai est financé par un laboratoire privé comparé à un essai sur le même médicament financé par un institut public".
Il poursuit : "On a tendance à considérer que les études scientifiques sont objectives mais quand on regarde la manière dont tout le système est organisé, on réalise que les firmes privées conduisent les essais cliniques pour promouvoir la vente de leurs médicaments."
Les bénéfices du régime alimentaire méditerranéen
Pour réduire le taux d’infarctus, il ne faudrait pas surveiller son taux de cholestérol mais adopter un mode de vie sain, avec de l’activité physique et un régime alimentaire méditerranéen. Une étude menée en 1999 par le docteur de Lorgeril montre que ce régime — une association d’apport en huile d’olive, de colza et d’anti-oxydants naturels comme les fruits et légumes, le vin rouge — a permis une réduction de 50% du taux d’infarctus dans le groupe qui le suivait par rapport au groupe "régime traditionnel". Les deux groupes présentaient pourtant des taux de cholestérol identiques.
Le point de vue des "cholestérosceptiques" qualifié de "marginal et dangereux"
En deuxième partie de soirée, les téléspectateurs ont pu écouter des arguments contraires. En plateau, le docteur Ulrich Laufs, professeur de médecine clinique et expérimentale de l’université Saarland, estime que le lien entre le taux de cholestérol et les maladies cardio-vasculaires est une "certitude établie" : "C’est l’avis de tous les experts à travers le monde, y compris ceux qui sont les plus réticents à l’égard de l’industrie pharmaceutique".
Selon le docteur Laufs, les statines ne présentent pas de dangers et sont le seul moyen disponible actuellement de faire baisser le taux de cholestérol : "Il y a peu d’éléments qui ont été aussi bien étudiés que les traitements aux statines. On sait que des traitements de longue durée aux statines continuent de produire des bénéfices et sont bien supportés." Il juge le point de vue de son interlocuteur "marginal et dangereux" et se satisfait du système actuel, "un équilibre qui fonctionne très bien" entre les "mécanismes de contrôles" et les "incitations économiques" de l’industrie pharmaceutique.
La société Française de cardiologie monte au créneau
Suite à la diffusion du film, la Société Française de Cardiologie "ne pouvait rester silencieuse", a-t-elle réagi dans un communiqué qui propose "un rappel historique des faits" tout autre que celui du documentaire. Voici un extrait de ce texte: "Nier le bénéfice des statines et leur impact sur l’espérance de vie, c'est à la fois malhonnête (en niant les faits scientifiques) et dangereux (pour les patients qui de bonne foi arrêteront leur traitement). Nier les progrès thérapeutiques, porter la suspicion sur les médecins, c’est aussi ignorer l’amélioration incontestable du pronostic cardiovasculaire dans notre pays, la France, avec, pour exemple, une chute spectaculaire de 68 % en 15 ans de la mortalité hospitalière après infarctus du myocarde et une baisse de 56% en 28 ans de la mortalité cardiovasculaire."
Le docteur Olivier Descamps dénonce une "théorie du complot"
Nous avons contacté le docteur Olivier Descamps, directeur de la clinique des lipides à l’hôpital de Jolimont (La Louvière) qui s’est dit "choqué" de la diffusion d’un tel documentaire. Il conteste la méthode de la réalisatrice qui consiste à prendre "les plus mauvais éléments de la théorie pour la démolir". Selon lui, le film relèverait de la "théorie du complot": "On a pris des vieux trucs qui créent une espèce de roman, avec une mafia de médecins, de scientifiques et d’industriels tous ligués pour tromper l’humanité… Les gens savent que les médecins ne sont pas des vendus. C’est incroyable d’aller raconter des choses comme ça."
Le docteur Descamps souligne le "modèle très clair" des patients atteints d'hypercholestérolémie familiale, "une maladie qui ne s’exprime que par un taux de cholestérol élevé". Chez eux, les maladies cardiaques surviennent beaucoup plus jeunes. La prescription de statines permet une diminution du risque d'accidents : "Toutes les études prouvent que pour chaque diminution de cholestérol LDL (NDLR : le "mauvais" cholestérol) de 40 milligrammes, le risque d’accidents vasculaire diminue de 20%. C’est incontestable".
Semer le doute chez les patients risquerait de leur faire arrêter leur traitement, les exposant ainsi à un risque accru de maladies cardio-vasculaires. Il évoque l'affaire du Docteur Philippe Even, condamné en mars 2014 à un an d'interdiction d'exercer pour avoir tenu des propos imprudents au sujet des statines dans son ouvrage intitulé "Guide des médicaments utiles, inutiles ou dangereux". Des chercheurs bordelais ont affirmé que ce livre a causé la mort de deux mille patients en Belgique, se souvient-il.
L’Association Belge de l’Hypercholestérolémie Familiale adresse une lettre à présidente d'Arte
Également président de l’Association Belge de l’Hypercholestérolémie Familiale et Vice-Président de la Société Belge d’Athérosclérose, le docteur Descamps prévoit d'envoyer une lettre à l’intention de la présidente d’Arte pour s’insurger de la diffusion de ce "reportage irresponsable". Voici un extrait de ce courrier: "Les analogies présentées par les polémistes à qui vous donnez la parole sont totalement insensées et nous regrettons que vous présentiez l’évolution des connaissances dans ce domaine comme une opération maffieuse truffée de non-dits, de truquages, de pression et de falsifications. De nombreux chercheurs dont certains récompensés de prix Nobel (Michael Brown, Joseph Goldstein) méritent plus de respect."
Cliquez ici pour lire la lettre envoyée à Arte par l’Association Belge de l’Hypercholestérlémie Familiale
Le professeur Christian Brohet, président du Comité scientifique consultatif de la Ligue cardiologique belge et chef du service de cardiologie à l'hôpital universitaire Saint-Luc, s’est adressé à la chaîne culturelle franco-allemande via Facebook, pour dénoncer un "reportage tout à fait déséquilibré" (voir sa publication ci-dessous) et dangereux. Dans un entretien publié dans le journal de la ligue cardiologue belge, il appelait déjà à se méfier "des obsédés qui voient partout un grand complot de l’industrie pharmaceutique." Contacté par les journalistes suisses de RTS, François Mach, chef du service de cardiologie des HUG, s’est indigné dans des termes encore plus forts: "Je n'ai pas peur de traiter ces gens de 'criminels'."
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