Des experts internationaux s'interrogent sur l'étendue réelle de l'épidémie de nouveau coronavirus en Iran, pays qui concentre déjà le plus grand nombre de morts hors de Chine et foyer de contamination qui pourrait propager la maladie dans la région.
Si Téhéran ne nie pas que l'épidémie "se propage" avec 43 décès confirmés et 593 cas, d'autres bilans non officiels sont beaucoup plus lourds.
Selon le service persan de la BBC, qui dépend du groupe audiovisuel britannique public, le nombre de morts s'élèverait à 210, un chiffre immédiatement démenti samedi par le ministère iranien de la Santé.
L'organisation d'opposition en exil des Moudjahidines du peuple, considérée comme "terroriste" par Téhéran, a pour sa part affirmé que l'épidémie avait fait "plus de 300 morts" et jusqu’à "15.000" infectés dans le pays.
Six épidémiologistes basés au Canada ont quant à eux estimé, via un modèle mathématique, que l'Iran pourrait avoir plus de 18.000 cas sur son sol.
Leurs calculs, pas encore validés par leurs pairs, prennent notamment en compte le nombre de cas dans des pays étrangers ayant pour origine un voyage en Iran.
"Quand un pays commence à exporter des cas vers d'autres destinations, il est très probable que l'infection dans ce pays soit significative", assure à l'AFP Isaac Bogoch, spécialiste des maladies infectieuses à l'université de Toronto et coauteur de cette étude publiée le 25 février sur la plateforme MedRxiv.
- "Position de faiblesse" -
Cette semaine, l'ONG Reporters sans Frontières s'est jointe au concert de critiques contre Téhéran sur cette crise, accusant le régime de dissimuler des informations sur la propagation du nouveau coronavirus.
"Les autorités affirment contrôler la situation, mais refusent de publier le nombre exact des personnes infectées et décédées", estime l'organisation.
Samedi, le porte-parole du ministère de la Santé Kianouche Jahanpour a réagi à ces critiques en accusant les médias étrangers de diffuser de fausses informations.
"Chez les radicaux en Iran, il y a une obsession de ne pas donner d'arme à l'ennemi et de ne pas apparaître en position de faiblesse", analyse Thierry Coville, spécialiste de l'Iran à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
"Parler du coronavirus sera bientôt considéré comme troubler l'opinion publique, agir contre la sécurité nationale et insulter le président!", s'inquiète pour sa part Assieh Bakeri, une Iranienne, sur Twitter.
- "C'est inquiétant" -
Un autre chiffre interpelle: avec plus de 7% de décès pour le nombre de cas recensés, l'Iran affiche un ratio "nombre de cas/nombre de morts" largement plus élevé que celui des autres pays.
En Chine, il est par exemple deux fois moins élevé (3,5%), tout comme en Italie (2%), deux pays fortement touchés.
"En Iran, les premiers cas ont été détectés avec le décès de patients. Donc si on calcule le ratio entre le nombre de cas et le nombre de morts de cette façon, il sera très élevé", explique à l'AFP Cécile Viboud, épidémiologiste au National Institutes of Health (Etats-Unis).
Quelle que soit la véracité des chiffres officiels, l'Iran est sans conteste l'un des principaux foyers de contamination hors de Chine.
Une situation aggravée par la situation économique actuelle. Le pays traverse une crise majeure avec le rétablissement depuis 2018 de sanctions américaines qui affectent particulièrement ses exportations de pétrole.
"Pourquoi l'Iran n'a-t-il pas arrêté les vols vers la Chine? Il y a une explication rationnelle: la Chine est l'un des derniers pays à leur acheter du pétrole. Ils ont besoin de maintenir ce lien économique", rappelle Thierry Coville.
"Avec les sanctions, on peut dire que le gouvernement a perdu au moins 30% de ses recettes budgétaires. Cela a forcément un impact sur leur système de santé", ajoute le chercheur.
Situé aux portes du Moyen-Orient et de certains pays à la situation humanitaire délicate, ce foyer a de quoi inquiéter.
"C'est inquiétant, tant pour la santé publique en Iran que par la forte probabilité d'une propagation aux pays voisins dont les capacités à répondre à une épidémie d'une maladie infectieuse sont plus faibles", soulignent les épidémiologistes canadiens dans leur étude.
Plusieurs pays comme le Qatar, l'Azerbaïdjan, le Liban ou encore l'Irak ont enregistré des cas de contamination sur leurs sols de personnes revenant d'Iran.
Les autorités iraniennes ont commencé à prendre des mesures pour endiguer la propagation de l'épidémie: annulation de la grande prière du vendredi dans plusieurs villes, fermetures de toutes les écoles jusqu'à mardi, fermeture du Parlement "jusqu'à nouvel ordre" et restrictions à la libre circulation dans le pays.
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