Le prix Nobel de chimie a été décerné mercredi à l'Américain David Baker et à un tandem formé du Britannique Demis Hassabis et de l'Américain John Jumper, pour avoir percé les secrets des protéines, en s'appuyant sur l'intelligence artificielle et l'informatique.
Le jury a salué ces chercheurs qui ont réussi "à déchiffrer le code des structures étonnantes de protéines", estimant que leurs découvertes "offrent un potentiel énorme".
"L'une des découvertes récompensées cette année concerne la construction spectaculaire de protéines. L'autre consiste à réaliser un rêve vieux de 50 ans: prédire la structure des protéines à partir des séquences d'acide aminé. Ces deux découvertes ouvrent de vastes perspectives", a résumé Heiner Linke, président du comité Nobel.
Ainsi, David Baker, biochimiste de 62 ans, a été récompensé "pour la conception computationnelle de protéines", tandis que Demis Hassabis et John Jumper l'ont été pour leurs travaux sur "la prédiction de la structure des protéines" via l'intelligence artificielle (IA), selon le communiqué.
Au début des années 2000, David Baker a créé une nouvelle protéine, dénommée Top7.
Le chercheur "a réussi l'exploit presque impossible de construire des protéines entièrement nouvelles", explique le jury.
Les protéines sont constituées d'un enchaînement d'acides aminés, des briques de base de 20 sortes différentes, qui peuvent être combinées de manière infinie. En 2003, il a réussi, "à partir de ces éléments constitutifs de la vie" à former une nouvelle protéine différente de toutes celles existantes.
Les protéines sont des molécules qui jouent un rôle fondamental dans presque toutes les fonctions des organismes vivants. "Pour comprendre le fonctionnement de la vie, nous devons d'abord comprendre la forme des protéines", a expliqué Heiner Linke.
Les deux découvertes récompensées par le Nobel sont "très importantes" et "ouvrent la voie à un grand nombre d'applications différentes", a relevé auprès de l'AFP Mary Carroll, présidente de l'American Chemical Society. La création de nouvelles protéines peuvent conduire à un développement plus rapide de vaccins, par exemple.
Interrogé par le jury Nobel, M. Baker s'est dit "très enthousiaste et très honoré". "Je dormais quand le téléphone a sonné, j'ai décroché et j'ai entendu l'annonce, puis ma femme s'est mise à crier".
De leur côté, Demis Hassabis, âgé de 48 ans et John Jumper, né en 1985, dirigent Google DeepMind et ont mis au point en 2020 un nouveau modèle d'IA dénommé AlphaFold2 pour déterminer la structure des protéines.
"Depuis les années 1970, des chercheurs ont essayé de prédire les structures des protéines à partir de leur acide aminé, mais cette tâche était notoirement difficile", souligne le jury.
"Avec l'aide de cette IA, ils ont réussi à prédire la structure de la quasi-totalité des 200 millions de protéines identifiés par les chercheurs", ajoute-t-il.
- Biologie informatique-
Les deux hommes, cités parmi les favoris, avaient déjà reçu le prestigieux prix Lasker en 2023. Google Deepmind a salué un "énorme succès", sur X.
"J'ai passé toute ma vie à travailler sur l'IA, à rêver de ce type d'impact (comme) l'utiliser au profit de la société et faire guérir des maladies", a dit M. Hassabis lors d'une conférence de presse à Londres, mettant néanmoins en garde contre les effets néfastes de l'IA lorsqu'elle est mal employée.
A propos de leurs travaux avec John Jumper, il a estimé que "cela a été un véritable défi pour la biologie informatique".
"Nous avons utilisé toutes les techniques modernes d'apprentissage automatique et les structures connues découvertes au cours des 50 dernières années, et nous avons réussi à construire un système capable de plier et de trouver la structure de pratiquement toutes les protéines connues de la science", a-t-il ajouté auprès de l'agence TT.
Le prix Nobel de physique avait déjà mis en lumière l'intelligence artificielle mardi.
Il avait récompensé le Britanno-canadien Geoffrey Hinton et l'Américain John Hopfield, pour leurs travaux respectifs dans "l'apprentissage automatique" cruciaux pour le développement de l'IA, les deux hommes saisissant l'occasion de ce prix pour sonner l'alarme sur cette technologie.
L'an dernier, le Nobel de chimie avait consacré un trio pour ses recherches sur des nanoparticules nommées points quantiques: Moungi Bawendi, Louis Brus et Alexei Ekimov, nés respectivement en France, aux Etats-Unis et en URSS.
Comme pour les autres Nobel, le prix de chimie a été critiqué pour son manque de diversité et d'égalité. Depuis 1901, seules huit femmes ont été couronnées, sur 114 lauréats.
La saison continue avec le prix Nobel de littérature jeudi et le prix Nobel de la paix vendredi à Oslo.
Pour les lauréats du millésime 2024, le chèque accompagnant le prix est de onze millions de couronnes (920.000 euros), à partager en cas de multiples gagnants.
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