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Safran, oeufs d'escargots et Chardonnay: ces Wallons ont opté pour une agriculture de luxe

Safran, oeufs d'escargots et Chardonnay: ces Wallons ont opté pour une agriculture de luxe
 
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Désireux de combattre la crise du secteur, une poignée d’agriculteurs aux idées novatrices s’écartent des sentiers battus pour profiter d’une activité peu traditionnelle: l’agriculture dite de luxe. Partenariats gastronomiques, produits dérivés et cars à touristes deviennent alors le lot quotidien de ces fermiers d’un nouveau genre. Qui sont-ils et parviennent-ils à contourner la crise ? Nous sommes partis à leur rencontre.

Le Safran de Cotchia

"Le safran est encore plus compliqué que les femmes", sourit Éric Leonard, premier producteur de safran en Belgique. L’épice, aussi précieuse qu’imprévisible, exige un traitement soigneux et extrêmement précis. A 30.000 euros le kilo, l’or rouge – qui pèse plus cher que l’or - porte d’ailleurs bien son nom.

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Safraniers depuis dix ans, c’est d’abord dans le cassis, puis même dans l’ouverture d’une boucherie, qu’Éric et Sabine Leonard montent, brique par brique, leur affaire agricole. Enfants d’agriculteurs, le couple possède aujourd’hui la plus grande production de safran de Wallonie - et de Belgique, située à Wasseiges, près de Hannut en Province de Liège.

"Cultiver le safran est un art", nous explique Éric Leonard. "Mais pour en vivre, il faut diversifier le produit, attirer les médias, se montrer dans les salons… C’est un boulot à plein temps !"


Former la concurrence

Autre ficelle du métier: faire payer aux stagiaires leur formation sur le terrain. Pour 500 euros, le couple accueille une main d’œuvre gratuite, très utile lors des récoltes qui, en retour, se forme au métier de l'or rouge. Mais ce n’est pas tout. Une fois leur formation terminée, les anciens stagiaires achètent les premiers bulbes qui vont lancer leur activité directement auprès du couple d’agriculteurs. "Est-ce que nous commettons une erreur en lançant la concurrence ? C’est la question que nous posent tous les journalistes !" s’amusent Eric et Sabine. "Nous estimons que ce n’est pas une erreur. Nous gardons un excellent contact avec les anciens stagiaires qui viennent d’ailleurs nous aider pendant les récoltes."

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Si le succès du binôme semble aujourd’hui garanti, il reste néanmoins tributaire du climat et des caprices de la météo. Ravagés par une tornade en 2011, il aura fallu trois ans aux terrains de la ferme de Cotchia pour se remettre des dégâts causés aux plantations. Cette année seulement, Éric et Sabine vont enfin pouvoir refaire des bénéfices. La récolte, exceptionnelle pour la saison, aura permis de produire deux kilos de safran, soit le double des années précédentes.
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Et si former la concurrence n’est pas une erreur, cela pourrait bien changer dans les années à venir: pour l’instant, la demande de safran supplante toujours l’offre en Belgique. Mais si les safraniers se multiplient, la tendance va s’inverser, créant ainsi une plus grande compétitivité entre les producteurs de l’or rouge… au risque de bousculer l’activité bien établie des Leonard.


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Les Perles de gris

Nous prenons maintenant la route pour la commune de Warnant, à quelques kilomètres de Dinant. Là-bas, nous rencontrons Éric Frolli, héliciculteur… ou éleveur d’escargots.

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C’est pendant ses études en agronomie qu’Éric Frolli découvre son intérêt pour les escargots. Après avoir consacré son mémoire au sujet de la petite bête à coquille, il tombe sous le charme de la profession. "Mais à quarante ans, j’en avais marre. Je n’avais jamais fait que ça de toute ma vie et j’avais besoin de changer d’air. Et puis, finalement, je suis quand même resté dans la filière. Je me suis dit que c’était mon destin", explique le producteur wallon.

Elever et commercialiser des escargots, l’idée semble peu ragoutante et loin, très loin, du précieux or rouge de la Ferme de Cotchia. Et pourtant, c’est bien vers la gastronomie que nous nous dirigeons. Un indice : les perles de gris, le nom donné par l’agriculteur à son produit phare.

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Vous l’aurez deviné, nous parlons bien des œufs d’escargots.

Un produit dont le kilo ne se vend généralement pas en dessous des 500 euros. Et pour produire ce kilo de perles grises, comptez en moyenne 16.000 œufs.

Si les perles de gris attirent quelques habitués et d’autres curieux, – et encore plus, nous souffle-t-on, en périodes de fêtes –  il n’est pas toujours possible de vivre uniquement de la culture d’escargots: "Il est même très difficile de ne vivre que de cette activité", confie Éric Frolli. "Beaucoup d’éleveurs se servent de leur élevage comme un revenu complémentaire", continue le producteur. Il peut aussi compter sur l’aide de sa famille : son épouse gère la comptabilité, son fils aîné l’aide dans ses préparations culinaires et son beau-père se présente aux foires pendant les weekends pour les dégustations.

Partenariats gastronomiques

Ensemble, les ventes du magasin cumulées aux foires représentent 30% du chiffre d’affaire de l’escargotière. Pour le reste, Éric Frolli noue une collaboration étroite avec des restaurateurs.  Le restaurant Michel, situé à Bonnine (près de Namur), est l’un de ses fidèles clients : "C’est le plat qui connait le plus de succès", se réjouit Thierry Dellisse, chef qui se régale à cuisiner les perles de gris. "Il attire du monde car les gens sont curieux. Mais pour éviter les mauvaises surprises, j’ai bien précisé sur la carte que ce plat contenait des œufs d’escargot, car les gens sont parfois très réticents à l’idée d’en manger", poursuit le chef de cuisine.
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"Les œufs sont-ils plus savoureux en France ? Bien sûr que non, ils se font juste mousser !"

Manger des œufs d’escargot est une tendance qui nous vient tout droit de l’Hexagone. Alors qu’en Belgique, le produit se vend 500 euros au kilo, il revient à 1200 euro de l’autre côté de la frontière. "Leurs œufs sont-ils plus savoureux ? Bien sûr que non, ils se font juste mousser", rigole Éric. Et bien qu’il soit plongé dans son nouveau produit, l’héliciculteur se tourne déjà vers l’avenir : "J’aimerais bien me lancer dans les cosmétiques. Les escargots sont très bons pour notre peau et les asiatiques en sont fous ! D’ailleurs, on m’en fait souvent la demande."

Ruffus, les bulles de Binche

Dans la famille Leroy, on se transmet le flambeau de père en fils. Négociants en vin depuis cinq générations, les Leroy cultivent leur passion pour les alcools rouge, blanc, rosé et effervescents jusqu’à planter leurs propres vignes il y a treize ans : "Créer son vignoble, c’est un investissement pour les petits-enfants !" évoquait Raymond Leroy, créateur, avec Thierry Gobillard, de la célèbre cuvée Ruffus.
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Tout en continuant à négocier le vin, Raymond, alors âgé de vingt ans, s’est mis en quête du terroir idéal pour accueillir son vignoble. D'abord pour du Pinot noir, ensuite pour un vin effervescent. Et c'est en 2002 que les terrains qui produiront le futur vin Ruffus sont finalement acquis. Une terre argileuse, un sol exposé plein sud qui regorge de calcaire, une région ventilée : avec leur parc à éoliennes, les collines d’Haulchin observent de nombreuses similitudes avec le terroir champenois... Des conditions idéales pour accueillir la production de Chardonnay.

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L’expérience est une véritable réussite et, treize années plus tard, le vignoble s’étire sur plus de vingt hectares et compte 180.000 vignes. Aujourd’hui, les deux fils de Raymond, Arnaud et Thierry, ont repris l’affaire familiale. 


Un succès inattendu

Fière de son succès, l’entreprise wallonne se voit récompensée de prestigieuses récompenses. La dernière en date : le titre de meilleur Chardonnay au Monde, en compétition avec de vrais Champagnes. Rien que ça !
Une distinction qui devrait encore accroître la demande de Ruffus qui semble déjà difficile à satisfaire en Belgique – faute de bouteilles.

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Mais les bulles de Binche n’en finissent plus de régaler le palais des Belges. Et la reconnaissance de la qualité du vin mousseux a aussi franchi la porte des grands restaurants. Notamment le Comme chez soiLa Villa lorraine et Bruneau, pour ne citer que les plus prestigieux. A cela il faut ajouter le traiteur du palais royal Loriers.


Ambitieux mais pas encore pleinement rentable

Victime de son succès, le Ruffus consomme aussi beaucoup d’argent : Il faut compter une dizaine d’années avant que cela ne devienne véritablement rentable, à condition de ne plus planter", commente Arnaud Leroy.

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"Avec un coût d’environ 25.000 euros pour planter un hectare de vignes, sans compter le prix d'achat de la terre, la production de Chardonnay permet seulement de couvrir trois à quatre salaires", poursuit le fils du créateur. Le reste des bénéfices sera englouti dans la plantation de nouvelles vignes et les machines d’entretien.


Quel avenir pour l'agriculture de niche dans le paysage wallon ?

L’agriculture de luxe sera-t-elle l’avenir des terres wallonnes ? Ces produits sont-ils seulement rentables sur le marché belge ? Ces deux questions, nous les avons posées à Michel Martin, professeur spécialisé en agronomie de la Faculté de Liège.

"Vivre de ses terres demande beaucoup d’ingéniosité : il faut à la fois diversifier sa production et se démarquer de la concurrence", commente le spécialiste. Mais face à l’agriculture dite "traditionnelle", la part de ces produits raffinés reste encore marginale dans l’activité wallonne.

"Il s’agit généralement de marchés de niche", poursuit Michel Martin. "Cela intéresse quelques fermiers qui ont la volonté de se diversifier, mais pas de là à reconvertir toute la Wallonie car la demande pour ce type de produits reste encore insuffisante." Si les produits originaux suscitent l’intérêt du public, il faudra, pour en vivre, limiter l’offre. "À mon sens, c’est la diversification qui sauvera une partie de la population agricole et le maintien de l’activité", conclut le spécialiste agronome. 

Photoreportage de Laura Swysen et Marine Vancampenhout


 

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