"Lorsqu'une victime est en danger, mon devoir, ce n'est pas seulement de la soigner!", plaide le chirurgien Jacques Saboye, résumant le dilemme de nombreux professionnels de santé, entre respect du secret et sentiment de "non assistance à personne en danger" face aux violences conjugales.
A quelques jours des conclusions du Grenelle sur les violences conjugales, la levée du secret médical est présentée par plusieurs acteurs comme une mesure indispensable pour mieux venir en aide aux victimes, mais certains médecins et associations pointent une "fausse bonne idée".
"La victime s'est elle-même rendue à dix reprises aux urgences", "un certificat médical (...) constatait l'existence de cicatrices, de plaies et d'un choc psychologique"... Dans son rapport sur les homicides conjugaux, rendu public dimanche, l'Inspection générale de la justice observe que "les médecins et les services hospitaliers sont les mieux placés pour constater l'existence de violences conjugales".
Ses auteurs plaident pour une modification de la loi sur le secret médical, "pour permettre à tout professionnel de santé de signaler les faits, même en cas de refus de la victime".
"Ça fait appel à l'éthique du médecin", a jugé la ministre de la Justice Nicole Belloubet, interrogée par le JDD, se disant "favorable" à cette possibilité de rompre le secret.
Un souhait que partage le Dr Saboye, président d'une organisation de chirurgiens plastiques, la SOFCPRE.
Dans la situation actuelle, les médecins représentent "un maillon intermédiaire qui fait verrou", dans la chaîne de responsabilité qui mène à l'escalade des violences conjugales, a-t-il expliqué à l'AFP.
S'il dit comprendre la réticence des "médecins de famille", le spécialiste de chirurgie réparatrice estime que, face à la gravité des blessures des femmes qui poussent parfois la porte de son cabinet (fractures du visage, brûlures...), il devrait "avoir la liberté d'appeler le procureur" pour signaler les faits.
- "Je tairai les secrets" -
Actuellement, en l'absence d'enquête judiciaire ou d'accord du patient, le secret médical s'impose de façon "générale et absolue", sauf pour les mineurs et les personnes vulnérables.
L'idée d'une évolution nécessaire de ce principe "en cas de risque sérieux de renouvellement" des violences figure aussi dans les conclusions des groupes de travail du Grenelle, dévoilées fin octobre.
Mais la formulation retenue par Marlène Schiappa, d'un "secret médical partagé par exemple entre les urgentistes, les avocats et la police", laisse sceptique le Dr Saboye car cela limiterait la mesure aux femmes qui se rendent aux urgences.
"Cela ne déclencherait pas d'action de la justice. Cela ne changerait rien en pratique s'il n'y a pas d'accord de la personne pour déposer plainte", estime aussi Frédéric Douchez, avocat spécialiste du droit de la santé.
Outre l'obligation pénale, le secret médical constitue aussi un impératif déontologique, dont le non respect peut mener jusqu'à la radiation par les ordres disciplinaires.
"Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés", enjoint le serment d'Hippocrate que prêtent les médecins.
"Dévoiler les confidences, en médecine, on n'aime pas", souligne Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente de l'Ordre national des médecins, qui a participé aux groupes de travail du Grenelle, pour expliquer les réticences dans la profession.
"Si le médecin met tout en oeuvre pour avoir l'accord de sa patiente et qu'il n'y arrive pas, on aura peut-être des possibilités pour l'aider et les accompagner plus facilement", espère-t-elle.
Dans une tribune publiée lundi dans L'Obs, 65 médecins qui appellent à mieux "repérer et prévenir les violences conjugales et sexuelles" s'opposent à une levée du secret médical, pour ne pas "rompre le lien de confiance" avec leurs patients.
D'autres professionnels relèvent aussi le risque de signalements "contre-productifs", qui pourraient mettre les victimes en danger.
"On se réfugie souvent derrière le secret, mais signaler une victime, ce n'est pas une délation", estime en revanche la psychiatre Liliane Daligand.
L'experte devant les tribunaux, également présidente d'une association d'aide aux femmes dans l'agglomération lyonnaise, appelle à se saisir davantage des possibilités déjà offertes par la loi. Elle estime que la définition donnée par le code pénal d'une "personne vulnérable" ("pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique") peut s'appliquer à de nombreuses victimes.
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