Dans un hangar de la Drôme, des milliards de larves de papillons sont concentrées dans une petite salle immaculée. Leur destin: nourrir des insectes capables de protéger les cultures agricoles des ravageurs afin d'utiliser moins de pesticides.
A Livron-sur-Drôme, l'entreprise Bioline Agrosciences, filiale d'InVivo, premier groupement français de coopératives agricoles, élève dans ce hangar de 17.000 mètres carré, toutes sortes d'insectes protecteurs de plantes et friands... d'insectes.
Ephestia kuehniella, mite alimentaire, est le nerf de la guerre. Selon les cas, ses oeufs vont nourrir les insectes lâchés plus tard dans les cultures ou servir d'hôtes aux oeufs d'autres espèces chargées de traquer les ravageurs.
Des millions d'oeufs d'ephestia sont répartis dans des supports de cartons alvéolés, empilés pour former de petits buildings d'un genre particulier, gorgés de blé concassé dont se nourrissent les larves écloses.
"C'est le HLM des larves", explique en souriant Sébastien Rousselle, responsable marketing, vêtu de la blouse blanche de rigueur, pour arpenter, avec les journalistes de l'AFP, les quelque 80 salles d'élevage qui composent le hangar.
"Dans chacune des salles, on est capable de maintenir les conditions de luminosité, température, humidité optimales pour le développement des insectes", lesquelles varient selon les stades, explique-t-il.
"Ces larves, en se développant, respirent et créent de la chaleur", explique-t-il, pour justifier le vrombissement permanent des aérateurs qui renouvellent l'air, afin d'éviter une accumulation de chaleur et de CO2, qui serait fatale à cet élevage.
Le biocontrôle, ou lutte biologique, représente 30 millions d'euros du chiffre d'affaires pour Bioline, une goutte d'eau à l'échelle du groupe, mais une goutte appelée à grossir.
"Pour les oeufs d'ephestia, on vient de doubler la capacité de production et ce n'est pas suffisant", explique Elizabeth Macé, directrice marketing.
Logique, compte tenu des décisions récentes des autorités françaises d'interdire à court ou moyen terme certaines molécules considérées comme nocives pour l'environnement ou la santé humaine.
L'association des producteurs et vendeurs de produits phytosanitaires (UIPP) a estimé tout récemment que le biocontrôle, qui représente actuellement 5% du marché, pourrait voir sa part tripler d'ici à 2025 en France.
La grande vedette du hangar, c'est le trichogramme, une micro-guêpe, dont six espèces différentes prolifèrent.
- A la rescousse du cannabis -
Selon les espèces, elles protègent vignes, soja, châtaigners, tomates et buis. Mais leur principal champ de bataille est le champ de maïs et leur ennemi juré, la pyrale, une chenille qui se délecte des épis et des tiges.
"Les trichogrammes sont commercialisés dans une dizaine de pays, en Europe et en Amérique du Sud. En France, ils protègent 110.000 hectares de maïs sur 2,7 millions", explique Mme Macé.
"La femelle va pondre son propre oeuf à l'intérieur de l'oeuf de l'insecte ravageur. Cet oeuf va éclore à l'intérieur de l'oeuf du ravageur et la larve va manger l'oeuf de la pyrale de l'intérieur. Le stade auquel le ravageur fait des dégâts, ce sont les larves, on agit avant même que les dégâts aient eu lieu", explique Sébastien Rousselle.
A l'aide d'un microscope, il révèle dans une coupelle remplie de milliers d'oeufs d'ephestia, l'existence d'une petite société dans laquelle de plus en plus d'oeufs ont viré du blanc au noir, signe qu'ils ont été colonisés par des trichogrammes.
"On va trier tout ça et garder un maximum d'oeufs noirs, qu'on va envoyer aux agriculteurs pour protéger leurs parcelles", explique M. Rousselle.
Dans les mains de Julien Baduraux, agriculteur en Meurthe-et-Moselle, un carton de la taille d'un jeu d'échecs, se découpe en 25 plaquettes de diffusion et "permet de protéger l'équivalent de deux terrains de football".
"C'est facile à mettre en place, les diffuseurs dans la parcelle. J'ai six hectares de maïs, je mets moins d'une heure", explique-t-il à l'AFP.
Lors d'un essai comparatif entre son exploitation et celle de deux voisins, il affirme avoir constaté un résultat comparable à celui relevé dans une exploitation traitée chimiquement.
"Aux États-Unis, il y a un marché qui se développe énormément, grâce à la culture du cannabis", souligne Mme Macé.
En Europe, avec la pression exercée sur les usages de pesticides chimiques, le nombre de procédures d'homologations de produits de biocontrôle a dépassé l'an dernier et pour la première fois, celles concernant des molécules chimiques, ajoute-t-elle.
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