Certains compléments alimentaires à base de plantes ont des effets proches des médicaments sans être aussi bien encadrés, s'est alarmée jeudi l'Académie de pharmacie, en soulignant la dangerosité de ceux contenant du suc d'aloé ou des racines de rhubarbe, utilisés pour leur effet laxatif.
"Il y a des plantes autorisées dans les compléments alimentaires qui n'ont pourtant jamais été utilisées dans l'alimentation, mais à des fins pharmacologiques, c'est-à-dire dans les médicaments", a déploré Jean-Pierre Foucher, membre de l'Académie, en présentant un rapport sur cette question.
Ce document pointe en particulier les compléments alimentaires contenant de l'aloé (uniquement quand c'est le suc qui est utilisé, le gel ne posant pas de problème), des racines de rhubarbe de Chine, du séné (fruit, foliole) et de l'écorce de bourdaine ou de cascara (un arbuste et un arbre). Ils sont essentiellement vendus sous forme de gélules.
Les plantes incriminées ont un point commun: elles contiennent des principes actifs (appelés "hétérosides hydroxyanthracéniques") identiques à ceux de médicaments classés comme "laxatifs stimulants". Cette expression désigne des "laxatifs puissants, mais irritants pour le tube digestif", selon le rapport.
Leur "usage prolongé provoque une dépendance, il n'est plus possible d'aller à la selle sans médicament. A long terme, des lésions définitives de la paroi interne de l'intestin peuvent apparaître", ce qu'on appelle la "maladie des laxatifs".
L'Académie demande que ces plantes soient retirées de la liste de celles qui sont autorisées dans les compléments alimentaires, produits qui ont la cote chez les Français et sont facilement accessibles (en pharmacie, en supermarché voire sur internet).
Cette liste, qui comprend 540 espèces végétales, est établie par un arrêté du ministère de l'Economie du 24 juin 2014.
En effet, la mise sur le marché d'un complément alimentaire obéit à un régime de déclaration auprès de la répression des fraudes (DGCCRF). Un médicament, lui, doit obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) des autorités sanitaires, après une évaluation scientifique de ses bénéfices et de ses risques.
- Marché en hausse -
"Un certain nombre de plantes de cette liste sont à leur place. Mais 25% devraient relever du monopole pharmaceutique et 20% sont des plantes médicinales issues d'autres cultures, sur lesquelles on manque de recul", a estimé Pierre Champy, spécialiste de pharmacognosie (l'étude des médicaments d'origine animale et végétale).
Pire, "certaines plantes sont interdites au titre des médicaments mais autorisées comme compléments alimentaires", a-t-il ajouté, en citant le cimicifuga. Des extraits de cet arbre d'Amérique du Nord sont utilisés en gélules pour, prétendument, combattre les effets de la ménopause.
Réclamée par l'Académie de pharmacie, l'interdiction de certains compléments alimentaires est, dans les faits, compliquée à obtenir, car elle pourrait être contestée devant la justice européenne.
Malgré cela, "nous estimons qu'il est de notre devoir de dire qu'il existe des dangers", a assuré M. Foucher, en plaidant au moins pour un meilleur étiquetage (avertissement sur les quantités ou la durée de consommation).
Plus largement, le rapport de l'Académie de pharmacie met en garde contre un mauvais usage des compléments alimentaires, dont la majeure partie est à base de plantes.
"Malgré leur statut d'aliment, contrairement à ce que beaucoup de personnes croient (...), les compléments alimentaires ne sont pas des produits anodins", soulignent les auteurs.
"Les accidents les plus sévères sont associés au mésusage (consommation de plusieurs produits, dépassement des doses recommandées)", selon l'Académie.
Elle rappelle que prendre en même temps certains compléments alimentaires et certains médicaments peut être dangereux à cause des interactions possibles.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire et de l'alimentation (Anses) a alerté à de multiples reprises sur ces produits en vogue.
Le marché des compléments alimentaires a grimpé à 1,8 milliard d'euros en 2017, alors qu'il n'était que d'un milliard d'euros en 2010, selon les chiffres du Synadiet (Syndicat national des compléments alimentaires).
En 2018, ce marché représentait 1,9 milliard d'euros, selon le cabinet d'études Xerfi.
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