Trouver la lumière du compartiment, caler sa valise sous la banquette, installer le drap: tous les soirs, le rituel se répète en gare de Vienne, rare ville européenne à proposer un large éventail de trains de nuits transfrontaliers à l'heure des vols à bas coût.
Rome, Milan, Zurich, Hambourg, Berlin, Varsovie, Zagreb via Salzbourg... dès 19h00, les destinations internationales défilent sur le panneau des départs de la "Hauptbahnhof", la gare principale de la capitale autrichienne.
Une singularité dans une Europe où le développement du rail à grande vitesse et l'explosion des liaisons aériennes à bas coût a marginalisé ce mode de transport, entraînant des fermetures de lignes en cascade.
Or la compagnie nationale autrichienne ÖBB, qui opère seule ou en partenariat 26 lignes de trains de nuit, ne se contente pas de maintenir son réseau, elle le développe.
Fin 2016, ÖBB a racheté la division train de nuit de son homologue allemand Deutsche Bahn (DB) qui souhaitait se débarrasser d'une activité jugée non rentable. Environ 60% des itinéraires de DB ont été conservés dont la liaison Vienne-Berlin rétablie il y a quelque mois.
Satisfaite de la "légère croissance" du nombre de passagers sur ce marché (plus de 1,4 million en 2018), l'entreprise a commandé 13 nouveaux trains de nuit qui seront dotés d'espaces couchettes innovants.
- Défi logistique -
Il n'en fallait pas plus pour que le rail autrichien devienne la coqueluche des défenseurs du train de nuit en Europe, la preuve selon eux qu'une alternative au transport aérien est possible pour lutter contre le réchauffement climatique.
"Au regard de l'objectif de neutralité en gaz à effet de serre à l'horizon 2050, des trains de nuit fonctionnant aux énergies renouvelables constituent une solution attractive", fait valoir Thomas Sauter-Servaes, expert en mobilité à l'Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW).
Mais comme tous les connaisseurs du secteur, il admet que le rail de nuit transfrontalier est un défi logistique et financier: rentabilité par voyageur moins élevée du fait de la place occupée par une couchette et de l'utilisation moins intense du matériel roulant, coûts d'exploitation et coûts salariaux liés au caractère nocturne de l'activité, frais de blanchisserie, complexité liée à la division et à l'assemblage des rames au cours du trajet, hétérogénéité des règles d'exploitation et des normes techniques selon les pays, redevances d'utilisation du rail souvent majorées par les gestionnaires des réseaux. N'en jetez plus!
Sans compter l'avantage concurrentiel du "transport aérien transfrontalier exempté de TVA et de taxe sur le kérosène", pointe M. Sauter-Servaes.
Parmi les voyageurs tirant leurs valises en gare de Vienne un soir de février, quelques-uns ont dit à l'AFP avoir choisi le train de nuit en pensant au climat.
"C'est un petit geste et ça ne m'empêchera pas de prendre l'avion pour des vacances à Madagascar cet automne, mais c'est mieux que rien", confiait Yvonne Kemper, une Autrichienne.
David, un Allemand de 42 ans, explique avoir embarqué dans le Vienne-Hambourg car il s'arrête, comme beaucoup de trains de nuit, dans une ville moyenne sans aéroport (Göttingen en Allemagne) où il se rend pour raisons professionnelles.
"Les raisons de choisir le train de nuit sont très différentes d'un voyageur à l'autre", souligne Bernhard Rieder, porte-parole d'ÖBB.
- Coopérer pour économiser -
La culture du train de nuit de la compagnie autrichienne est le résultat d'"une tradition, liée au caractère montagneux du pays qui a limité le développement de la grande vitesse", explique-t-il.
Pour ce marché, le modèle économique d'ÖBB repose sur la création de "synergies" et d'économies d'échelle qui ont motivé le rachat des trains du voisin allemand afin de conserver "un réseau qui fait sens", détaille-t-il. "Le train de nuit est un secteur particulier qui ne peut fonctionner qu'avec des coopérations transfrontalières fortes" pour la gestion du matériel ou la vente des billets par exemple.
ÖBB a également jugé plus rentable de sous-traiter le service à bord à la société privée Newrest wagons-lits.
"Les trains de nuit sont et resteront une niche, mais ça ne veut pas dire qu'une niche ne peut pas être rentable", assure M. Rieder.
Porte-parole du collectif européen de soutien aux trains de nuit "Back on track", le Danois Poul Kattler voit plus grand. Pour lui, "si les compagnies ferroviaires nationales étaient plus offensives sur ce marché et si l'UE construisait une vraie politique ferroviaire commune, nous pourrions offrir une réelle alternative de transport et un projet européen très populaire".
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