"Ici, c'est mieux que la rue." Après avoir purgé une peine de trois ans de prison, Paola raconte s'être retrouvée "sans rien" et se réfugie régulièrement la nuit, depuis six mois, dans les méandres des parkings sous-terrains de Paris.
Cachés entre les voitures, munis de duvets étendus à même le sol, ils sont comme elle plusieurs centaines à passer leurs nuits dans la lumière blafarde des néons allumés 24h/24 des parkings parisiens.
"Je viens ici les jours de pluie", explique Stéphane, installé sur un emplacement vide poussiéreux. Chassant les moustiques qui le harcèlent, ce grand gaillard de 43 ans sait déjà que la nuit sera mauvaise. "Le pire, c'est la chaleur, c'est comme ça quand on vit sous terre", lance-t-il en forçant un sourire.
Dans les 78 parcs publics parisiens d'Indigo, les agents sont intervenus 15.000 fois en 2016 auprès de sans-abris, soit deux fois plus qu'en 2015, selon un recensement fait par l'exploitant qui gère 70% des parcs de la Ville de Paris.
"Ils arrivent vers minuit et repartent vers 6 ou 7 heures du matin. Il y a du monde et en hiver, ça devient un lieu de refuge", raconte Bakari, gardien de nuit dans un parking proche de la gare de Lyon.
Selon Indigo, les sans-abris des parkings sont de plus en plus nombreux. Essentiellement des hommes seuls au départ, de plus en plus de femmes isolées et de familles avec un ou plusieurs enfants s'y installent, selon le directeur régional Paris d'Indigo Renzo Blivet.
D'après une étude réalisée en 2016 par l'exploitant dans ses parcs publics parisiens, 26% des occupants sont là depuis plus d'un an. Parmi eux, 34% sont présents nuit et jour, et 4% sont des enfants.
"On ne peut pas se contenter de raccompagner ces gens vers la sortie", dit M. Blivet, invoquant des raisons humanitaires mais également commerciales. "Une personne qui paie son stationnement 100 ou 150 euros par mois n'a pas envie de se retrouver confrontée à cette misère", reconnaît-il.
- 'Isolés de tous' -
Depuis mi-avril, le Samu social de Paris qui gère le 115, le numéro d'urgence réservé aux sans-abris, a lancé une expérimentation avec des maraudes nocturnes dans des parkings. Le Samu social a également formé plus de 250 agents d'Indigo à mieux connaître le public SDF.
"Nous avons découvert qu'une bonne partie de ces personnes ne sont pas connues de nos services", observe Laura Charrier du Samu social, expliquant qu'il s'agit de sans-abris qui n'ont jamais fait de demande d'hébergement via le 115 et n'ont jamais été pris en charge lors des maraudes de rue.
Invisibles, les sans-abris des parkings comme ceux du métro parisien sont "isolés de tous", ce qui accélère "le processus de désocialisation", met en garde le Dr Patrick Henry, médecin alcoologue qui a créé le Recueil social, un service de la RATP qui s'efforce de sortir les SDF du métro.
Décrivant un phénomène d'"enfouissement", le spécialiste explique qu'en quelques semaines, "ces personnes perdent tout repère car elles sont toujours exposées à la même lumière, aux mêmes odeurs..."
"Coupés du monde, ces sans-abris perdent progressivement toute conscience du temps, de la relation à l'autre et même de leur propre corps", dit-il, ajoutant que lorsqu'ils ont atteint ce stade, "il est très difficile de les rattraper, il est crucial d'éviter ce genre de dégâts".
Sortie de nulle part, Mélissa, un jean déchiré et les cheveux vaguement noués, s'avance vers une équipe du Samu social en maraude dans un parking gare de Lyon.
Disant avoir 18 ans, cette jeune fille, à la rue depuis que ses parents adoptifs l'ont jetée dehors il y a quelques mois, avoue sans vraiment avoir l'air de se rendre compte de sa nouvelle situation: "c'est la première fois que je vais dormir dehors".
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