"Au pays de Paul Bocuse, on peut faire autre chose que livrer de la junk food dans de mauvaises conditions sociales". L'offre de restauration à livrer, en forte croissance depuis la pandémie, doit être "de qualité: éthique, responsable et durable", estiment nombre de chefs.
Une fois les champignons farcis au beurre d'escargot au four, le chef Franck Baranger fait rissoler des magrets de canards dodus, destinés aux quelque 140 menus - 3 plats pour 25 euros - qui seront emportés ou livrés chez les clients de son bistrot Belle Maison, en cette froide journée de décembre.
Depuis la fermeture fin octobre des cafés, restaurants et brasseries pour un deuxième confinement, vente à emporter et livraison assurent "en une semaine l'activité que faisaient en un jour nos quatre établissements, tous situés dans le 9e arrondissement" de la capitale, explique le chef à l'AFP. Trois d'entre eux - les bistrots Pantruche et Caillebote, le coffee shop Coucou - gardent leur rideau baissé. Mais cela permet aussi de "continuer à apporter du plaisir aux clients".
"La vente à emporter c'est facile, mais pour la livraison il nous fallait un partenaire de confiance: si le plat qui part de chez nous tombe par terre, puis est ramassé et servi, le client va se dire que c'est la faute du restaurant !", souligne M. Baranger.
"Il est important que nos plats arrivent parfaitement dressés, faciles à réchauffer au four, dans un bel emballage en forme d'origami, écologique, fait en France... et livrés par des livreurs employés en CDI par une société normale, qui cotisent à la Sécu et peuvent se loger", dit-il.
Avec une centaine d'acteurs de la restauration, M. Baranger a signé une tribune fin novembre dans le Journal du Dimanche prônant une "livraison éthique" et appelant "les autorités politiques à réglementer des plateformes" à l'activité "délétère pour tous".
Sans nommer les géants américains Uber Eats et Deliveroo, souvent épinglés pour la précarité et la faible rémunération de leurs livreurs auto-entrepreneurs, ils pointent une "concurrence déloyale" d'acteurs qui "ponctionnent des commissions exorbitantes" tout "en exploitant des livreurs précarisés".
- "Juste prix" -
Le consommateur doit comprendre qu'un "plat livré en 20 minutes, pour un coût de livraison de 2,50 euros, c'est la promesse d'un livreur sous-payé, sans protection sociale, qui tourne à vide et sans revenu lorsqu'il n'effectue pas de course", affirme la tribune.
Pour M. Baranger, "à force de tirer les prix vers le bas, tout le monde vit mal. C'est un choix de vie: nous voulons faire de la qualité et prendre soin de nos partenaires: fournisseurs, éleveurs, salariés, livreurs".
Ce respect a un prix: une livraison à 10 euros dans la capitale intra muros - 20 à 30 euros en périphérie-, assurée par la start-up Tiptoque. Créée en 2015 pour livrer des plateaux repas en entreprise, elle fournit aux restaurants, à Paris et à Lyon, une plateforme de réservations clés en main et fait travailler des sociétés de livreurs salariés comme Top Chrono ou Welbex.
"Il faut éduquer le client à sa responsabilité sociale et sociétale, à payer le juste prix", dit Thomas Bouvier, son cofondateur.
"Au pays de Paul Bocuse, on peut faire autre chose que livrer de la junk food dans de mauvaises conditions sociales", renchérit son associé Edwy Rousseau. "Quand je livre un cochon de 8 heures ou un lièvre à la royale, je suis content."
Partenaire du guide Michelin, Tiptoque fédère une cinquantaine de chefs dont Eric Frechon, Yannick Alléno, Kelly Rangama ou Beatriz Gonzalez, avec pour credo de "respecter le produit et l'humain, de la fourche à la fourchette" et d'appliquer des commissions raisonnables.
Et livrer, avec des camionnettes réfrigérées, "dans des conditions d'hygiène irréprochables", souligne le restaurateur Stéphane Manigold, à la tête du groupe Eclore, "en respectant la chaîne du froid".
A la Rôtisserie d'Argent, le chef Sébastien Devos dit réfléchir à "embaucher quelqu'un pour tout maîtriser de A à Z: la logistique du dernier kilomètre, c'est très important".
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