En décrochant un nouveau report du Brexit au 31 octobre, Theresa May obtient un sursis pour quitter l'Union européenne sans trop de dégâts mais risque d'attiser la fureur des membres de son parti qui veulent claquer la porte de l'Europe.
Depuis des mois le destin de la dirigeante conservatrice ne tient qu'à un fil, en raison d'un processus de Brexit qui s'éternise faute de compromis au parlement sur la relation future avec l'UE. Quant à son parti et son gouvernement, ils sont aussi à couteaux tirés entre partisans du maintien de liens étroits et ceux qui veulent couper les ponts.
Fin mars, juste avant la date initiale prévue de le sortie, le 29 mars, Mme May avait promis de démissionner si les députés adoptaient l'accord de divorce qu'elle a conclu avec Bruxelles fin novembre. En vain: ils l'ont rejeté pour la troisième fois. Deux semaines plus tard, elle est revenue à Bruxelles négocier un nouveau report et ne montre aucun signe de vouloir céder la place.
"Elle a dit qu'elle démissionnerait une fois la première phase du Brexit achevée, ce qui n'est pas encore le cas", répète Downing Street.
Son ministre de la Justice, le pro-UE David Gauke, estime lui qu'au vu de la crise que traverse le Royaume-Uni, ce n'est pas le moment de la pousser dehors. "Je ne pense pas que nous devrions nous précipiter pour changer de leader avec l'énorme tâche que nous avons sur les bras", a-t-il déclaré mercredi sur la BBC.
Mais la frange la plus anti-UE de son parti, qui craint de se retrouver coincée dans l'UE, ne l'entend pas de cette oreille.
- "Regrets sincères" -
Rappelant que la cheffe de gouvernement avait promis devant le Parlement de ne pas réclamer de délai au-delà du 30 juin, le député Peter Bone l'a appelé à en tirer les conséquences. "Si Mme May tient parole, peut-on s'attendre à sa démission ce soir?", a-t-il tweeté mercredi.
Mme May, 62 ans, a aussi renié une autre promesse: celle de ne pas prendre part aux élections européennes. Pour obtenir le report du Brexit, elle a dû consentir à lancer les préparatifs pour ce scrutin, qui se tiendra le 23 mai au Royaume-Uni, sauf, espère-t-elle, si l'accord de divorce est finalement adopté, auquel cas elle l'annulerait.
"Si nous arrivons à trouver un accord maintenant (...) nous pouvons encore sortir le 22 mai", a-t-elle soutenu dans la nuit de mercredi à jeudi, admettant qu'elle savait qu'elle avait créé "une énorme frustration en réclamant le report".
"Le Royaume-Uni aurait dû déjà avoir quitté l'UE et je regrette sincèrement de ne pas avoir été capable de persuader le parlement d'approuver un accord qui assure une sortie douce et ordonnée du Royaume-Uni de l'UE", a-t-elle ajouté.
Les médias britanniques spéculent eux sur la date de son départ: le 2 mai, si le Parti conservateur s'effondre aux élections locales? Le 23 mai, si les électeurs lui infligent une claque au scrutin européen? Le 30 juin? Ou peut-être dès la semaine prochaine si son gouvernement explose, certains ministres n'hésitant plus à la défier ouvertement.
"Elle est complètement isolée et c'est par sa faute", estime Paul Breen, maître de conférence à l'université de Westminster, estimant qu'elle n'a pas eu "la force" de tenir tête aux pro-Brexit dur.
Meg Russell, politologue à l'University College de Londres (UCL), lui reproche aussi d'avoir choisi d'agir en chef de parti "plutôt que de tenter de construire un consensus national". Or diriger un gouvernement minoritaire "réclame plus de flexibilité, d'agilité, dont la capacité au compromis et au travail avec d'autres partis. Theresa May n'a clairement aucun de ces talents", ajoute-t-elle dans un article publié sur le site de l'UCL.
La semaine dernière, près de trois ans après son arrivée au pouvoir au lendemain du référendum sur le Brexit de juin 2016, la dirigeante a finalement tendu la main au Parti travailliste pour tenter de trouver un compromis susceptible de passer l'obstacle du parlement. Les discussions n'ont pour l'instant pas abouti.
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