L'"ubérisation" en procès ? La plateforme Deliveroo et trois de ses ex-dirigeants devront répondre en mars 2022 devant le tribunal correctionnel de Paris de "travail dissimulé", soupçonnés d'avoir employé comme "indépendants" des livreurs qui auraient dû être salariés.
L'entreprise, accusée d'avoir "dissimulé un grand nombre d'emplois" salariés, et trois anciens dirigeants de Deliveroo France, dont son ex-directeur général, sont convoqués devant le tribunal du 8 au 16 mars 2022 pour des faits remontant à la période 2015-2017.
Le parquet soupçonne Deliveroo et certains de ses ex-dirigeants d'avoir "recouru à des milliers de travailleurs sous un prétendu statut indépendant via des contrats commerciaux, alors que ceux-ci étaient placés dans un lien de subordination juridique permanente à son égard", comme l'avait constaté l'Inspection du travail dans un procès-verbal de décembre 2017.
En mai 2018, le parquet de Paris avait ouvert une enquête préliminaire, confiée à l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI).
"Depuis ses débuts en France, la société Deliveroo France opère en tant que plateforme digitale de mise en relation avec des partenaires livreurs prestataires indépendants, de manière totalement transparente, revendiquée et dans le strict respect des dispositions légales", a réagi l'entreprise dans un communiqué à l'AFP.
Kevin Mention, avocat de plusieurs livreurs plaignants dans ce dossier, a au contraire salué sur Facebook "un petit pas" dans ce genre de dossiers "mais un bond de géant contre l'+ubérisation+".
Dans le cadre de cette enquête, la justice avait procédé à la saisie à titre conservatoire de 3 millions d'euros sur le compte bancaire français de la société, correspondant à une partie des cotisations sociales qu'elle est soupçonnée de ne pas avoir acquitté durant la période 2015-2016.
Une source au sein de l'inspection du travail indiquait récemment à l'AFP que, dans un rapport de 2017, certains "éléments ont permis de caractériser un système de sanction mis en place par Deliveroo. Par exemple si les avis sur un livreur n'étaient pas bons, il était radié de la plateforme".
"Les livreurs ne fixaient pas leurs tarifs, un élément de base, pourtant, pour un travailleur indépendant", a également relevé la même source.
"Il y avait des sanctions, un contrôle de la prestation en temps réel. Ils définissaient tout unilatéralement comme un employeur, sans situation d'égal à égal. C'est du salariat déguisé", accusait récemment un avocat d'un des plaignants.
Selon ce conseil, Deliveroo avait dû faire évoluer ses relations avec ses livreurs suite à cette procédure judiciaire et aux contentieux devant les prud'hommes.
- "Confiance" -
Deliveroo a néanmoins affirmé lundi soir qu'à ce stade, "toutes les décisions de justice rendues définitivement en France (lui) ont été favorables".
Et d'ajouter qu'elle abordait "donc avec confiance cette audience qui lui permettra de démontrer le caractère infondé (des faits reprochés, ndlr) et continuera de plaider pour ce modèle qui correspond aux aspirations d'une immense majorité des livreurs partenaires".
Très contesté, le statut d'indépendant des chauffeurs Uber ou coursiers Deliveroo est remis en cause dans de nombreux pays par la justice ou, plus rarement, par des lois, poussant parfois les géants du secteur à proposer des solutions de compromis.
En Europe, les livreurs sont généralement considérés comme des travailleurs indépendants, notamment en France.
En Grande-Bretagne, Uber a annoncé en mars qu'elle allait accorder à ses plus de 70.000 chauffeurs un statut hybride de "travailleurs salariés", qui leur permettra de bénéficier du salaire minimum, de congés payés et de l'accès à un fonds de retraite. Une première mondiale pour la société américaine.
Deliveroo a annoncé fin juillet son intention de quitter l'Espagne, qui veut obliger les applications de repas à domicile à salarier leurs livreurs.
En février, la justice italienne a donné 90 jours aux plateformes Deliveroo, Uber Eats, Just Eat et Foodinho-Glovo pour modifier les contrats de leurs livreurs, considérant qu'ils ne sont pas des auto-entrepreneurs.
Dans l'Hexagone, plusieurs autres sociétés telles Take Eat Easy ou Foodora, font l'objet d'une enquête préliminaire à Paris, notamment pour "travail dissimulé".
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