Le RER-Saint-Michel en 1995, Merah en 2012 et l'après-Charlie où tout s'est accéléré, jusqu'à l'attaque du Thalys vendredi: la France vit avec la menace permanente d'un attentat, entre insécurité et vigilance, un climat qui bouleverse le mode de vie des citoyens.
"Des cycles intenses suivis de phases d'accalmie". Pour Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), "on vit avec des attentats depuis les années 1960".
"Charlie", 7 janvier. Une nouvelle ligne figure dans l'Histoire de France. Depuis, les attentats ou tentatives d'attentats se sont succédé: en février à Nice, lorsqu'un homme agresse au couteau trois militaires devant un centre communautaire juif; en avril, un étudiant est arrêté, soupçonné d'avoir tué une femme et alors qu'il s'apprêtait à perpétrer un attentat contre une église de Villejuif. En juin, Yassin Salhi décapite son patron et tente de faire exploser une usine à Saint-Quentin-Fallavier. En juillet, quatre jeunes projettent de s'en prendre au camp militaire de Fort Béar, à Port-Vendres et de décapiter un officier.
Le 23 janvier, Manuel Valls lançait à des lycéens : "votre génération doit s'habituer à vivre avec ce danger", et ce "pendant un certain nombre d'années".
Une habitude à prendre, ou déjà prise, selon le sociologue Gérard Mermet, spécialiste de l'analyse des modes de vie, et directeur du cabinet d'études Francoscopie.
"Il y a un début d’accoutumance, d'apprentissage qui se fait dans l'opinion : les attentats sont répétitifs, leur fréquence est suffisamment élevée pour qu'on ne les oublie pas".
S'installe un "fatalisme" selon l'expert, avec la conscience que le risque zéro n'existe pas : "Qu'elles que soient les politiques sécuritaires mises en œuvre, on ne peut rien empêcher".
On se fait plus rationnel, se souvenant qu'"on a plus de chances de mourir de maladie ou dans un accident de voiture que dans un attentat".
Un avis partagé par Alain Bauer : "les gens sont statisticiens et font le rapport risque/enjeu qui les amène à continuer à utiliser les transports en commun".
Il rappelle ainsi qu'en 1995, "les attentats dans le RER n'ont fait baisser que 10% la fréquentation du réseau, preuve de la résilience de la population".
- Prise en charge individuelle -
Malgré l'angoisse, explique Gérard Mermet, la société française "très peureuse, qui avait tendance à déléguer la responsabilité de la sécurité aux pouvoirs publics", donnant lieu à "une infantilisation du citoyen", réalise que l'Etat ne peut pas tout.
"On se dit +c'est moi en tant que citoyen qui doit agir+, c'est quelque chose d'assez nouveau, explique Gérard Mermet, ce qui vient favoriser la prise en charge individuelle et l'entraide".
Le meilleur exemple? L'intervention de plusieurs passagers lors de l'attaque du Thalys.
Contrôles dans les avions, stationnement interdit devant les écoles et crèches, Vigipirate, des mesures qui visent à sécuriser ou bien à rassurer?
"On a remplacé les poubelles par des sacs plastiques depuis 1995 [plusieurs bombes avaient été placées dans des poubelles, ndlr] mais on peut vite entrer dans une logique de vie insupportable", explique le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) Eric Denécé.
"Il suffirait qu'un abruti fasse un attentat dans un restaurant... Et on mettrait des portiques à l'entrée des restaurants? On est dans une spirale anxiogène totalement débile", s'emporte-t-il.
Pour le spécialiste, "on peut avoir un attentat avec 50 morts demain. Mais on peut aussi avoir un tueur fou qui entre dans une école parce que sa femme l'a quitté. Le terrorisme représente moins de 1% des morts violentes, ce qui n'enlève rien au caractère scandaleux de ces actes".
Et de conclure que de toutes les manières, "le rôle d'un terroriste c'est d'essayer de passer là où il n'y a pas encore de mesure de sécurité.
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