Dans le RTL INFO 19 heures de dimanche soir, le virologue a déclaré que le pays scandinave avait désormais instauré des mesures plus drastiques que la Belgique. La Suède mis en place une stratégie assez éloignée de la plupart des autres nations du monde qui la taxaient de laxisme. Qu'en est-il réellement ? Le royaume scandinave a-t-il durci ses mesures ? Décryptage.
Aujourd'hui, on le sait, face au Covid-19, il existe deux uniques moyens de développer une immunité collective (donc de la population dans son ensemble): faire l'infection ou se faire vacciner. Le vaccin n'existant pas, faut-il encourager l'immunité collective? Les chiffres montrent une nette hausse des cas de contamination depuis plusieurs semaines. Les jeunes sont principalement affectés. Face à cela, Emmanuel André appelle à la prudence. Certes, le virus doit circuler mais il est important de ne pas arriver à une saturations des hôpitaux.
"Cette théorie de l’immunité collective a été proposée au début de l’épidémie, puis on s’est rendu compte qu’on pouvait développer une immunité mais de façon extrêmement contrôlée. On voit dans des pays comme la Suède, qui a aujourd’hui des mesures plus strictes qu’en Belgique, qu’il faut surtout garder les choses sous contrôle", a-t-il éclairé.
Cette déclaration du virologue a fait réagir de nombreux téléspectateurs. "Il affirme que la Suède aurait durci ses mesures, il n'en est rien", s'offusque l'un d'entre eux via le bouton orange Alertez-nous.
Une stratégie très différente du reste de l'Europe
Pas de confinement, le port du masque pas obligatoire, pas d'écoles fermées. Alors que la plupart des pays ont pris des mesures drastiques pour tenter de limiter la propagation du virus, le pays nordique avait opté pour une stratégie différente. Le pays a laissé ses citoyens mener une vie normale. Enfin presque. La Suède a-t-elle fait marche arrière et pris des mesures plus drastiques que la Belgique, elle, qui faisait cavalier seul depuis le début de l'épidémie?
L'épidémiologiste Marius Gilbert nous éclaire. "Il y a un indicateur qui nous permet d'évaluer les niveaux de mesures des différents pays. Tant au niveau de la période de confinement qu'après, ils (les Suédois ndlr) sont restés sur des mesures qui sont moins fortes sur la vie quotidienne des gens mais qui ne sont pas pour autant inexistantes", nous explique le spécialiste.
Cet indice, c'est le "Goverment Stringency Index" mis en place par World in data. Concrètement, il évalue le degré des mesures prises par les différents pays entre 0 et 100. La fermeture des écoles, des lieux publics, les mesures prises dans les transports en commun sont notamment prises en compte. Au 7 septembre 2020, dernière donnée disponible, l'indice de la Belgique était de 49,07. À la même période, celui de la Suède était de 37,04.
"La Suède avait une stratégie différente par rapport à la Belgique. Ils avaient des mesures qui étaient moins fortes que les nôtres pendant le confinement mais ils n'en sont pas sortis. Ils ont maintenu des mesures pendant l'entièreté de la période. C'est pour ça que si on compare les choses dans le temps, on peut voir que la Belgique a des mesures moins contraignantes aujourd'hui", estime Marius Gilbert.
Pour comprendre concrètement ce qui distingue la Belgique et la Suède dans leur stratégie, voici les mesures établies dans le royaume scandinave.
En Suède, pas de confinement...
Mi-mars, la plupart des pays ont mis en place un confinement partiel ou total de leur population. Le but: limiter au maximum les contacts entre les habitants afin de contraindre la propagation du virus.
La Suède, elle, n'a jamais imposé de confinement. Elle a préféré appelé sa population au civisme.
Le gouvernement avait alors défendu sa stratégie, malgré les accusations de laxisme venues de l'étranger et de certains experts nationaux. Son argument: le bénéfice d'un confinement drastique n'est pas suffisant pour justifier son impact sur la société.
Pas de confinement mais une protection des personnes âgées et fragiles. Le 1er avril, la Suède interdit donc les visites dans les maisons de repos. "N'ayez pas de contacts étroits avec des personnes de plus de 70 ans, sauf si cela est absolument nécessaire", écrivent les autorités sur le site officiel. Avant d'ajouter: "Restez à la maison si vous présentez des symptômes, même s'ils ne sont que bénins. Le COVID-19 peut présenter les mêmes symptômes qu'un simple rhume, il est donc très important d'être attentif à tout signe de maladie".
Le virus est "un tsunami" qui "déferle sur l'Europe quoi qu'on fasse", avait indiqué l'épidémiologiste suédois Johan Giesecke en avril dernier. Il avait jugé donc que son gouvernement suit la bonne stratégie: protéger "les personnes âgées et fragiles" mais laisser le virus circuler parmi les plus jeunes, moins à risques. Cela permettrait d'atteindre une théorique immunité collective, qui n'est "pas le but de cette stratégie, mais sa conséquence".
... mais une responsabilisation
Les autorités ont également demandé à la population de garder contacts avec les personnes âgées tout en respectant les gestes barrières. "Il est important que les gens voient leurs proches pour leur propre bien-être. Les personnes âgées peuvent rencontrer des amis et de la famille, de préférence à l'extérieur, si tout le monde maintient une distance physique. Il y a beaucoup moins de risque d'infection lorsque vous êtes à l'extérieur", peut-on lire.
"Dois-je suivre les directives générales ou recommandations émises par l'agence de santé publique de Suède? Oui et non", écrit le site des autorités. Là encore, la Suède parle de recommandations plutôt que d'obligations. Elle laisse le choix à sa population de s'y conformer.
Pas de masque...
Alors que de nombreux pays ont rendu obligatoire le port du masque dans toutes ses rues, à Stockholm, rares sont ceux qui l'arborent dans les supermarchés, bureaux, bus et métros. Seule une poignée se plie à son usage. Les autorités disent "garder un oeil sur" la question et pourraient introduire la mesure si cela était jugé nécessaire.
"L'utilisation d'un masque facial pourrait encourager les personnes présentant des symptômes bénins à sortir, ce qui pourrait augmenter la propagation de l'infection", justifient les autorités.
L'épidémiologiste Anders Tegnell, visage de cette stratégie suédoise assumée, considère que son efficacité reste à prouver. Mal utilisé ou mal manipulé, le masque pourrait aussi contaminer la personne qui le porte, défend-t-il. Anders Tegnell préfère insister sur la baisse des chiffres depuis l'amélioration des conditions dans les maisons de retraites, qui ont enregistré un grand nombre de décès au début de l'épidémie, conjugué à un respect accru des recommandations comme le télétravail. "Essayer de remplacer ces mesures par des masques ne fonctionnera pas", selon lui. "Plusieurs pays qui ont introduit les masques connaissent maintenant une forte recrudescence", a-t-il déclaré mi-août à la télévision publique.
... Mais des gestes barrières
Parmi les mesures d'hygiène et gestes barrières énoncés par le royaume scandinave: se laver les mains fréquemment, éternuer et tousser dans son coude, éviter de se toucher les yeux, la bouche et le nez, rester chez soi si l'on est malade et garder une distance avec les autres personnes dans les lieux publics. 1m? 1m50? La Suède ne communique pas une distance particulière à respecter. Elle parle d'une "longueur de bras". Selon elle, aucune étude ne montre quelle distance précise serait efficace. De plus, une distance imposée pourrait compromettre le travail au sein des restaurants, magasins et espaces publics qui "ont besoin d'un certain degré de flexibilité pour pouvoir fonctionner".
Des règles dans les bars et restaurants
Il faut éviter l'entassement des visiteurs à tout prix. Les personnes doivent être attablées, et comme en Belgique, elles ne sont pas autorisées à se tenir debout au bar. Les établissements sont chargés de mettre en place des installations permettant aux visiteurs et au personnel de se laver les mains.
Les restaurants, bars et cafés à travers le pays doivent prendre des précautions particulières concernant le risque d'entassement de personnes dans les files d'attente, autour des tables et dans les buffets ou les bars. Les visiteurs doivent pouvoir se tenir à distance les uns des autres.
Tous les visiteurs doivent s'asseoir à des tables lorsqu'ils mangent ou boivent, ils ne sont pas autorisés à se tenir dans un bar ou similaire. Le personnel doit servir de la nourriture et des boissons aux tables. À moins que cela ne crée des files d'attente ou du surpeuplement, les clients peuvent commander et récupérer leur nourriture au comptoir. Les plats à emporter peuvent être traités comme d'habitude, à condition que cela n'entraîne pas de surpeuplement ou de contact étroit entre les personnes.
La personne en charge du lieu est responsable du maintien des routines minimisant le risque de transmission de maladies. Cela peut par exemple inclure des directives locales sur l'accès aux installations de lavage des mains (savon et eau courante) pour le personnel et les invités. Les autorités locales sont libres d'imposer aux restaurants de leur ville des mesures plus restrictives.
Crèches et écoles restées ouvertes, les lycées et universités fermés
Sur ce point, le virologue Emmanuel André a raison. La Suède a pris des mesures plus drastiques quant à ses écoles contrairement à la Belgique qui a choisi de rouvrir physiquement tous ses établissements scolaires. Accueillant un public capable de rester seul à la maison, les lycées et universités ont été fermés et l'enseignement se poursuit à distance.
À l'inverse, les autres écoles sont restées ouvertes. "La fermeture des écoles notamment maternelles aurait un impact négatif sur la société. Par exemple, les travailleurs essentiels du public (par exemple le personnel de santé) devraient rester à la maison avec leurs enfants. Cela pourrait également mettre en danger les groupes vulnérables, tels que les grands-parents, s'ils aident à la garde des enfants", écrivent les autorités.
Télétravail encouragé
La Suède a appelé sa population à travailler à domicile au moins jusqu'au Nouvel An. La mesure, qui vise en partie à réduire la promiscuité dans les transports publics, est destinée à faciliter les choses pour les travailleurs essentiels.
Les rassemblements de plus de 50 personnes interdits
Depuis le 29 mars, tous les rassemblements et événements publics de plus de 50 personnes sont interdits. "Le but de cette législation est d'éviter les situations où un grand nombre de personnes de différentes régions du pays se réunissent au même endroit", argumentent les autorités. Cela concerne notamment les fêtes, les séminaires, les rassemblements religieux, les représentations théâtrales et les concerts. Les événements sportifs, les danses et les foires sont également concernés par cette règle.
Sur ce point, la Belgique se montre moins sévère. La capacité d'accueil est limitée à 200 personnes pour les rassemblements en intérieur et à 400 en extérieur.
Les frontières fermées
Comme chez la plupart de ses partenaires européens, au plus fort de l'épidémie, ses frontières étaient fermées aux voyages jugés "non-essentiels".
Les tests: un nombre à peu près similaire dans les deux pays début septembre
Le pays a été plus lent qu'ailleurs pour mettre en place des tests de masse. Le gouvernement suédois avait annoncé mi-avril vouloir dépister sa population à plus grande échelle, espérant pouvoir tester jusqu'à 100.000 personnes par semaine, un objectif encore difficile à atteindre aujourd'hui. Les dépistages, qui concernaient jusqu'à mi-avril uniquement les patients hospitalisés et le personnel soignant, ont depuis été étendus aux personnes occupant des postes jugés "essentiels" pour la société - comme les policiers et les pompiers - afin qu'elles puissent reprendre le travail plus rapidement après avoir présenté des symptômes.
Aujourd'hui, selon des dernières données communiquées par les autorités officielles, 126.219 tests ont été réalisés entre le 31 août et le 6 septembre. Parmi eux, 1,2% étaient positifs. En Belgique, durant cette même période, 150.176 tests ont été effectués. Le taux moyen de positivité était de 2,6%.
"La raison pour laquelle nous avons une transmission relativement faible maintenant est en grande partie due au fait que beaucoup de Stockholmois suivent les recommandations de rester chez soi quand on est malade, de se laver les mains et de garder ses distances", a déclaré Per Follin, responsable du département de contrôle et de prévention des maladies transmissibles de Stockholm.
Bilan (données enregistrées le 14/09 par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies - ECDC)
Avec plus de 5.846 morts et 86.505 cas confirmés par un test depuis le début de l'épidémie, la Suède est parmi les pays les plus touchés relativement à sa population. Le taux de contamination pour 100.000 habitants est de 22,7. Le taux de mortalité s'élève à 57,1 pour 100.000 habitants. La Suède est le 12e pays du monde le plus touché par la pandémie de coronavirus, proportionnellement à la population respective.
A titre de comparaison, la Belgique enregistre 93.455 cas confirmés par un test depuis le début de l'épidémie. On enregistre 9.925 décès dont 3.600 cas possibles. Le pays affiche un taux de contamination de 70,6.9. Le taux de mortalité de la Belgique s'élève à 86 pour 100.000 habitants.
Pourtant, selon l'épidémiologiste Marius Gilbert, la comparaison des bilans humains entre les deux pays n'est pas pertinente. "En Belgique, on a un certain nombre de facteurs de risques qui font que notre pays est assez vulnérable, ce qui explique que l’on ait eu autant de décès. Par contre, il est intéressant de le comparer à celui des pays voisins, qui eux, ont confiné. En Suède, le taux de mortalité est entre 5 et 10 fois plus important que la Norvège, le Danemark et la Finlande qui sont des pays assez proches. Le bilan suédois doit être mis en contexte", nous éclaire-t-il.
La Suède a-t-elle avancé dans son immunité collective?
En n'instaurant pas de confinement à sa population, la Suède aurait dû permettre une plus grande circulation du virus. Pourtant, selon les données collectives, le pays est loin d'avoir acquis une immunité collective. "Ils ne sont pas du tout à l’immunité collective. Les données dont on dispose pour le moment montrent que dans les régions rurales, 5 à 6% des personnes ont des anticorps, et avec des pics qui vont jusque 20% dans certains quartiers de Stockholm. Leur stratégie n’a pas amené à une immunité qui soit significativement plus élevée qu’ailleurs. En tout cas, rien ne le montre pour le moment. Compte tenu des modes de vie suédois et le fait que les gens aient beaucoup plus adhéré aux recommandations faites, combiné à une densité de population plus faible, on voit que la maladie n’a pas beaucoup plus circulé qu’ailleurs", justifie Marius Gilbert.
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