Lorsque le canot pneumatique chargé de migrants accoste sur une plage de l'île grecque de Lesbos, le comité d'accueil est en place: en première ligne des bénévoles préparant bouteilles d'eau et serviettes, en retrait un pick-up dont le conducteur est prêt à désosser l'embarcation.
Sur les galets de Skala Sikaminias, où se succèdent toujours les arrivées de canots en provenance de Turquie, chacun joue sa partition sans prêter attention à l'autre. Les bénévoles, ce jour-là néerlandais et suédois, aident la trentaine de migrants à débarquer après avoir agité des couvertures de survie aux reflets argentés pour indiquer à l'embarcation l'endroit où accoster.
Lorsque le petit groupe s'éloigne, le conducteur démonte le canot et charge ce qu'il peut dans son véhicule: plancher en aluminium, cordes et surtout moteur.
La presse locale de Lesbos a baptisé "les corbeaux", ces recycleurs d'un genre particulier, également aperçus par l'AFP.
Sur l'île de Leros, plus au sud de l'Egée orientale, qui voit également arriver régulièrement des embarcations depuis la Turquie, la police a arrêté entre fin août et début septembre quatre habitants, saisissant 15 moteurs de bateaux non déclarés chez l'un, vingt chez l'autre.
"Il y a un marché noir pour tout, soupire Michalis Dimou, un garde-côte de Lesbos. Ici aussi il y a eu des arrestations, mais il y a tellement d'autres priorités en ce moment..."
Ces priorités, Michalis Dimou les connaît à double titre: garde-côte, il est aussi le fils d'un pope charismatique de l'île, mort début septembre après avoir consacré ses dernières années à aider les réfugiés au sein de son ONG "Akgalia" ("Etreinte").
- Vacances solidaires -
Lesbos est l'île grecque qui a vu arriver le plus grand nombre de migrants et réfugiés depuis le début de l'année. L'insuffisance des structures d'enregistrement des nouveaux arrivants, et l'affluence exceptionnelle de ces derniers, a conduit la semaine dernière à un engorgement au visage dramatique: plus de 20.000 hommes, femmes, enfants attendant dans des conditions sordides dans un port transformé en vaste camp improvisé, jusqu'aux squares, aux trottoirs de la capitale de l'île, une petite ville de quelque 30.000 habitants.
La situation s'est depuis améliorée.
Agkalia, animée par une poignée de bénévoles du village de Kalloni, est l'un des visages de la solidarité citoyenne qui s'exprime aussi sur l'île par des distributions de repas dans la ville de Mytilène ou par l'animation d'un petit camp d'accueil autogéré, non loin de la ville.
"Quand j'étais enfant, ma grand-mère nous racontait ses souvenirs quand, après la guerre et l'occupation italienne sur l'île de Kalymnos, elle avait immigré avec sa mère et ses soeurs parce qu'elles n'avaient plus à manger. Elles étaient parties en Turquie, puis dans les territoires palestiniens et finalement ... en Syrie. Ca me paraissait de l'histoire tellement ancienne", soupire Giorgos Tirikos, l'un des animateurs d'Akgalia, par ailleurs employé dans la boucherie de son beau-père, à Kalloni.
Kalloni est une étape pour certains migrants, à mi-chemin des 50 kilomètres qu'ils doivent parcourir, généralement à pied, entre le nord de l'île où ils ont débarqué, et le sud où se trouvent le port et les camps d'enregistrement.
Et pour les touristes qui veulent aider, l'association est un point de ralliement où ils se succèdent, qui pour une journée, qui pour une semaine, comme Marja Hanko, une Néerlandaise qui "remplit quotidiennement trois cents bouteilles d'eau" et participe à la distribution des repas.
"J'ai même vu des touristes revenir, après leurs vacances sur l'île, une autre semaine, juste pour aider", raconte Giorgos Tirikos. "Mais nous avons l'impression de devenir des robots de l'humanitaire tant les besoins sont grands..."
Pourtant, "d'une manière générale, je trouve que les gens de Lesbos réagissent plutôt bien à ce chamboulement du quotidien. Beaucoup se rappellent que leurs ancêtres étaient eux-mêmes réfugiés", dit-il.
Dans les années 1920, l'île a accueilli un grand nombre de Grecs d'Asie mineure voisine, chassés par les Turcs, arrivés dans un dénuement total.
"Si vous saviez les horreurs que j'entends parfois sur ces migrants ou que je reçois sur Facebook, soupire cependant Yannis Papadakis, un hôtelier du port. Et moi je passe pour un idiot auprès des autres, car je refuse d'augmenter pour eux le prix de mes chambres ..."
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