A Sunderland, ville ouvrière traditionnellement de gauche située dans le nord-est de l'Angleterre, les habitants désabusés s'en sont remis au Parti du Brexit, présidé par l'europhobe Nigel Farage, pour mettre en oeuvre le divorce avec l'Union européenne.
"Je suis travailliste jusqu'au bout des ongles mais on ne peut plus faire confiance au Labour ou aux Conservateurs", dit à l'AFP Stephen James, un agent de sécurité de 55 ans, au lendemain de la victoire du Parti du Brexit aux élections européennes. "Je comprends juste pas ce qui se passe: quand on a voté pour quitter l'UE, pourquoi on n'est pas sortis immédiatement?"
Située à 450 km de la capitale, au bord de la mer du Nord, Sunderland est devenue un symbole du Brexit dès le référendum de 2016: la ville de près de 275.000 habitants avait voté à 61% pour le divorce avec l'UE, contre 52% en moyenne dans le pays, et avait été l'une des premières à annoncer ses résultats. Les images de liesse des partisans de ce divorce historique avaient fait le tour du monde.
Y régnait une toute autre ambiance lundi: pas de scènes de joie, mais un centre-ville calme, avec des habitants vivant la victoire du Parti du Brexit comme une évidence.
"Farage aurait même dû gagner davantage", dit à l'AFP Brian Welsh, retraité de 66 ans, alors que l'homme politique populiste a engrangé près de 32% des voix au niveau national, reléguant les partis traditionnels travailliste et conservateur respectivement à la troisième et la cinquième place.
"Les Conservateurs ont menti et le Labour ne sait pas ce qu'il veut faire" du Brexit, justifie Brian Welsh.
- "Laisser une chance" -
Le divorce avec Bruxelles était prévu le 29 mars, mais a été repoussé au 31 octobre à la demande de la Première ministre conservatrice Theresa May, pour éviter un divorce sans accord alors qu'elle n'a pas réussi à faire adopter au Parlement britannique son plan de sortie conclu avec Bruxelles.
De leur côté, les Travaillistes paient leur ambiguïté sur le Brexit, des députés s'étant déclarés en faveur de l'organisation d'un second référendum alors que leur chef Jeremy Corbyn ne l'a soutenu que du bout des lèvres.
Sur les trois sièges réservés au Parlement européen à la région du Nord-Est, dont fait partie Sunderland, le Labour n'en conserve qu'un, alors que le Parti du Brexit en gagne deux.
"Qu'est-ce qu'un second référendum nous apporterait?", lance, blasé, Alan Bell, un ancien chef cuisinier de 67 ans, bonnet enfoncé jusqu'aux yeux. "Je sais exactement ce que serait le résultat à Sunderland: sortir, encore. Tous mes potes voteraient encore pour partir".
Nigel Farage a séduit les habitants en venant en personne en mars lancer une longue marche pro-Brexit depuis Sunderland vers la capitale. Et en répétant à l'envi qu'avec son parti il concrétiserait une rupture nette avec l'Union européenne, sans accord pour absorber le choc, en appliquant les règles commerciales de l'Organisation mondiale du Commerce.
Un scénario redouté par les milieux économiques, les Européens, et rejeté par le Parlement britannique.
Pas de quoi pourtant effrayer les habitants de Sunderland, même si "ce sera peut-être dur un ou deux ans", reconnaît Brian Welsh. Ici, malgré des conséquences déjà palpables des atermoiements sur le Brexit, comme ce projet avorté de crossover par la gigantesque usine du constructeur automobile Nissan, le désir de quitter l'UE reste intact.
C'est, selon Alan Bell, le prix à payer pour cesser de "donner de l'argent à leur petit club" européen. Et même pour ceux qui espèrent encore quitter l'UE avec un "bon accord", le Parti du Brexit apparaît comme un moindre mal. "Ils ne peuvent pas faire pire que ceux qui sont actuellement au pouvoir" a ainsi jugé John Lewis, 70 ans. "On peut leur laisser une chance, et voir ce dont ils sont capables". pb-clw/fb/tmo
Vos commentaires