L'Organisation mondiale de la santé (OMS) doit défendre son indépendance pour rester crédible, juge un responsable italien de cette agence onusienne qu'il accuse d'avoir censuré un rapport sur la gestion de la pandémie en Italie.
Francesco Zambon, qui travaille pour l'OMS depuis 2008, reproche à cette dernière d'avoir mis un document sous le boisseau, ce qu'elle réfute.
Cet Italien de 47 ans estime que l'affaire met au jour la question des conflits d'intérêts susceptibles de nuire à l'Organisation mondiale de la santé, qui siège à Genève.
"Au moment où nous nous apprêtons à partir en mission en Chine, nous devons nous assurer que l'OMS est libre de toute influence extérieure, sinon son indépendance est menacée", plaide-t-il dans un entretien téléphonique avec l'AFP.
Les experts de l'OMS enquêtant sur les origines du coronavirus n'ont toujours pas tous les visas nécessaires pour entrer en Chine, les responsables chinois semblant traîner des pieds pour autoriser une enquête indépendante.
Les liens entre l'OMS et Pékin ont fait l'objet de maints commentaires depuis le début de la pandémie. On a reproché à cette organisation sa complaisance supposée à l'égard du régime communiste et à ce dernier, soucieux d'écarter toute responsabilité dans l'épidémie qui a fait plus d'1,8 million de morts dans le monde, son opacité.
"Je crois que le monde a besoin d'une OMS libre de conflits d'intérêts, pas seulement vis-à-vis des partenaires avec lesquels elle travaille [...] mais en commençant par son propre personnel", souligne Francesco Zambon.
Il a coordonné le rapport de 102 pages analysant la réponse de l'Italie au Covid-19, lorsque ce pays est devenu le premier en Europe à subir une vague massive de contaminations.
Le document a été retiré un jour après sa publication le 13 mai, une décision prise selon lui pour éviter la mise en cause de Ranieri Guerra, un haut responsable de l'OMS qui avait été un des artisans des programmes de prévention et de lutte contre les épidémies en Italie.
Ranieri Guerra, le directeur général de la santé préventive au ministère italien de la Santé entre 2014 et 2017, est actuellement un sous-directeur général de l'OMS où il est chargé du Groupe Initiatives spéciales.
- Accusations de censure -
L'OMS Europe a expliqué que le rapport avait été retiré parce qu'il contenait "des inexactitudes factuelles".
"Il n'y pas eu de considérations politiques, je peux vous l'assurer", s'est défendu le directeur régional de l'OMS pour l'Europe, Hans Kluge, au cours d'une conférence de presse cette semaine.
Francesco Zambon reconnaît une erreur dans le rapport, mais celle-ci a été rapidement corrigée et il soutient que sa parution aurait aidé d'autres pays confrontés au coronavirus.
"Le monde entier avait les yeux tournés vers l'Italie", rappelle-t-il.
Le document a cependant été rendu public, à un moment où la plupart des pays européens étaient déjà submergés par l'épidémie. Il contenait des informations et des recommandations largement diffusées par l'OMS.
L'OMS avance ainsi que si le rapport n'a pas été diffusé, c'est qu'elle avait entre-temps trouvé d'autres procédures pour permettre à ses pays membres de partager leur expérience.
Le rapport a néanmoins été transmis à la presse le mois dernier pour faire pièce aux accusations de censure.
En substance, il y est affirmé que le plan de préparation épidémique de l'Italie n'avait pas été dépoussiéré depuis 2006 et que la réaction initiale de ses hôpitaux avait été "improvisée" et "chaotique".
La polémique est arrivée aux oreilles du parquet de Bergame, la ville du nord à l'épicentre de la première vague de coronavirus il y a près d'un an.
MM. Guerra et Zambon ont tous deux été auditionnés dans le cadre d'une enquête sur les ratés de la gestion de l'épidémie, qui a fait plus de 77.000 morts jusqu'ici en Italie, un des bilans les plus lourds dans le monde.
"J'ai une grande confiance en la justice italienne", assure M. Zambon.
Il estime que ses allégations lui ont valu une mise à l'écart de l'OMS : "Je ne peux plus travailler en Europe parce que j'ai été isolé, c'est le destin classique d'un lanceur d'alerte".
L'OMS Europe s'est refusée à tout commentaire sur un membre de son personnel.
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