L'annonce par l'Allemagne d'un plan à 200 milliards d'euros pour protéger son économie contre la hausse des prix de l'énergie a suscité vendredi l'inquiétude de certains partenaires européens qui craignent une concurrence déloyale, faute de pouvoir mobiliser de telles sommes.
La première réaction, virulente, est venue de Rome. "Face aux menaces communes de notre époque, nous ne pouvons pas nous diviser en fonction de la marge de manœuvre de nos budgets nationaux", a déclaré le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, dans une critique à peine voilée des annonces de Berlin.
"La crise énergétique requiert de la part de l'Europe une réponse permettant (...) d'éviter des distorsions dangereuses et injustifiées du marché intérieur", a poursuivi M. Draghi, appelant les Européens à se "montrer unis".
Malgré des années d'austérité budgétaire, l'Italie est plombée par une dette publique représentant 150% de son produit intérieur brut (PIB), contre 65% en Allemagne. Elle ne dispose pas des mêmes moyens pour aider ses entreprises.
"La Commission sera vigilante quant à l'impact de cette initiative (de Berlin) sur les conditions de concurrence équitable" dans l'UE, a déclaré de son côté le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, interrogé par l'AFP.
Il a assuré qu'il regarderait le plan allemand "très en détail dans les prochains jours".
"Depuis plusieurs mois, j'incite les Etats membres à trouver tous les moyens qui sont à leur disposition pour soutenir leurs industries et leurs entreprises. Mais, je suis très attaché à ce que cet exercice se fasse en grande transparence, en concertation et en totale cohérence européenne", a-t-il précisé.
Le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, a réfuté tout cavalier seul. "D'autres pays ont également mis en place des paquets pour alléger le fardeau" de leurs ménages et entreprises, a-t-il dit vendredi à la radio allemande Deutschlandfunk, citant l'Espagne et la France.
- "Course folle" -
La pression sur les dirigeants européens est très forte alors que l'inflation annuelle a atteint en septembre le taux record de 10%, en raison des conséquences de la guerre en Ukraine.
La flambée des prix de l'énergie et de l'alimentation prend les ménages à la gorge. Le patronat européen a averti jeudi que les prix élevés du gaz et de l'électricité menaçaient la survie de milliers d'entreprises en Europe.
Les responsables politiques craignent des mouvements sociaux de type gilets jaunes et des milliers de suppressions d'emplois dans l'industrie et ont tendance à agir en ordre dispersé, faute de cadre satisfaisant à l'échelle de l'UE.
Le ministre luxembourgeois de l'Energie, Claude Turmes, a appelé vendredi la Commission à "mettre fin à cette course folle des différents gouvernements qui se concurrencent les uns les autres dans un moment aussi difficile".
"Plusieurs grands pays ont pris des mesures nationales, pendant que dans les réunions ils disent qu'il faut travailler ensemble et trouver des solutions au niveau de l'UE", persifle un diplomate européen, sous couvert d'anonymat.
Pour Thierry Breton, "la question qui se pose désormais est de savoir comment offrir aux Etats membres qui ne disposent pas de ces marges de manœuvres, la possibilité de soutenir elles aussi leurs entreprises et leurs industries, comme ça avait été le cas pendant la crise du Covid".
En juillet 2020, les Vingt-Sept avaient réussi à s'accorder sur un plan de relance historique à 750 milliards d'euros financé par un endettement commun.
La question d'un deuxième plan se posera dans les prochaines semaines, estime le centre de réflexion Bruegel.
Le paquet à 200 milliards d'euros "envoie certainement le mauvais signal: l'Allemagne utilise sa puissance budgétaire d'une manière qui pourrait nuire aux autres pays européens", a-t-il écrit dans un billet de blog, évoquant le "bazooka" de Berlin. "Les divergences économiques au sein de l'UE pourraient s'accentuer et l'unité européenne face à la Russie être compromise", s'inquiète l'institut bruxellois.
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