Iouriï Kozynets embrasse sa femme devant le bus devant l'emmener loin de Pokrovsk, dans l'est de l'Ukraine, dont se rapprochent inexorablement les troupes russes. Ce mineur reste sur place, pour continuer à gagner de l'argent pour sa famille.
Iouriï, 31 ans, essuie les larmes sur le visage de son épouse Aliona Gladkaïa, 35 ans. "Il n'y a pas d'autre solution : pour protéger sa famille, un homme doit subvenir à ses besoins", assène-t-il.
Son épouse avec ses trois enfants issus d'un précédent mariage montent dans le bus et elle appuie sa main contre la vitre. De l'autre côté de la fenêtre, Iouriï fait de même.
Comme des centaines d'hommes qui ont envoyé leurs familles dans la sécurité relative d'autres régions d'Ukraine, il reste pour travailler à la mine, récoltant le précieux charbon dont l'Ukraine a besoin pour son économie et sa défense.
Ce choix déchirant met en lumière un dilemme courant pour les Ukrainiens vivant près du front et qui n'ont pas les moyens d'abandonner leur emploi et de déménager.
L'histoire de Iouriï et d'Aliona a commencé à la mine. Elle était chargée de remonter les travailleurs à la surface et Iouriï lui donnait à chaque fois le jeton prouvant qu'il a terminé son quart de travail.
Avant de se séparer, ils rejouent la scène, riant entre les larmes.
Aliona part le coeur brisé. "Quand je regarde ce qui est devenu une partie de moi, tout ce dans quoi j'ai mis mon âme, je perds toute force", confie la femme, qui ne sait pas si elle va pouvoir revenir un jour.
- Mine essentielle -
L'armée russe, avec sa puissance de feu qui rase tout sur son passage, se rapproche peu à peu de Pokrovsk, noeud logistique clé pour les forces ukrainiennes dans la région de Donetsk (est), et se trouve aujourd'hui à moins de 10 kilomètres de la ville.
Cette avancée se fait sentir par des bombardements incessants et de plus en plus forts qui détruisent des bâtiments et font peur aux enfants d'Aliona: Kira, 13 ans, Anguelina, 12 ans, et Matviï, 9 ans.
Depuis fin août, près de 35.000 habitants ont quitté Pokrovsk, et il n'en reste plus que 13.900, selon la municipalité. Les transports publics ne fonctionnent presque plus et seules les navettes transportant les employés vers la mine circulent encore.
En attendant l'une d'elles, Andriï Radine, un ouvrier de 41 ans, et ses trois collègues racontent que la plupart des mineurs ont envoyé leurs femmes loin de la ville.
"La mine façonne la ville", explique Andriï. "Sans la mine et le chemin de fer, ce serait fini : les gens n'auraient plus rien pour survivre".
Avant l'invasion, 8.500 personnes travaillaient pour la compagnie minière de Pokrovsk, selon Oleksandre Kalenkov, président d'Ukrmetallurgprom, une association de compagnies métallurgiques. Il n'est pas clair combien il en reste aujourd'hui.
"En ce moment, notre industrie voit la situation la plus difficile depuis le début de la guerre", déplore M. Kalenkov.
La mine de Pokrovsk est la seule mine sous contrôle ukrainien produisant du coke, un charbon nécessaire à la fabrication de l'acier. Sa perte serait un "coup terrible" qui diviserait par deux la production de ce métal essentiel à l'industrie militaire et coûteux à importer, estime-t-il.
- Solitude -
Le rôle des mineurs est si vital pour l'Ukraine que la plupart d'entre eux sont exemptés du service militaire et perçoivent des salaires relativement élevés.
"Je ne toucherais pas un tel salaire ailleurs", confirme Andriï Radine, sans en dévoiler le montant. Mais même lui envisage de partir, la mine ayant été bombardée plusieurs fois.
Dans un quartier voisin, Oleksandre Belenko, 41 ans, attend son tour chez le barbier au son de tirs d'artillerie. Sa femme, Lyoudmila, a trouvé refuge à Odessa (sud) avec leurs deux enfants.
"Ils sont ma famille, mon sang. Je leur donnerais mon dernier morceau de pain s'il le fallait. Et je ne me plains pas, ce n'est pas difficile pour moi. C'est simplement la mission de tout homme d'être un pourvoyeur", dit Oleksandre, qui travaille aussi à la mine.
"Je veux que cette maudite chose soit terminée rapidement. Honnêtement, je n'ai plus de force", s'emporte-il à propos de la guerre. Les membres de sa famille, qui vivaient jadis à proximité, sont tous dans des villes différentes. "La solitude, c'est dur", lance-t-il.
Iouriï Kozynets s'efforce de contenir som émotion en regardant le bus emporter sa femme et ses enfants adoptifs.
"J'ai juste peur de ne plus jamais les revoir vivants. J'espère que... Non, j'en suis sûr, nous nous reverrons", se ressaisit-il. "Elle et les enfants sont toute ma vie".
Vos commentaires