Il n'y a pas que les taxis, les hôteliers et les loueurs de voitures qui s’inquiètent de la concurrence des particuliers. L'essor des plateformes collaboratives, sur le modèle de l'ex-UberPOP et de ses chauffeurs non professionnels, tracasse aussi l'Etat, qui craint de voir ses recettes fiscales s'éroder.
Blablacar, Airbnb, VizEat, Ornikar... De plus en plus de secteurs sont bousculés par le développement de sites d'échanges de biens ou de services entre particuliers. Un bouleversement pour les professionnels concernés, mais aussi pour l'administration, quelque peu démunie face à ce phénomène.
"On parle de révolution numérique, mais il faudrait aussi parler de révolution fiscale", estime Bernard Lalande, parlementaire PS et membre de la commission des Finances du Sénat.
Car si en théorie, les revenus réalisés par des particuliers sur Internet sont soumis aux prélèvements sociaux et à l'impôt sur le revenu, rares sont dans la pratique ceux qui sont déclarés... et donc imposés.
"C'est très facile avec ces sites de se faire des compléments de revenus qui échappent à l'impôt", déplore Vincent Drezet, secrétaire général de Solidaires Finances Publiques. "Comme l'économie collaborative est appelée à se développer, mécaniquement, les pertes pour l'Etat vont s'accroître", ajoute-t-il.
Pour Michel Taly, avocat fiscaliste et ex-directeur de la législation fiscale à Bercy, "internet permet de revenir à une économie de troc sur une grande échelle". "Si cela conduit à faire sortir des pans entiers de l'activité de l'économie traditionnelle, on peut se faire du souci", estime-t-il.
- "Spirale mortifère" -
Au-delà des secteurs d'activité "uberisés", l'essor dans son ensemble de l'économie numérique donne des sueurs froides au Trésor public. En raison, notamment, des difficultés à faire contribuer les acteurs du web marchand à l'effort collectif via l'impôt.
"L'une des difficultés tient à l'éclatement des acteurs", souligne le sénateur PS Jacques Chiron. Ces acteurs sont en outre souvent domiciliés à l'étranger, et se gardent bien de payer à l'Etat la TVA perçue sur les ventes faites dans l'Hexagone.
Selon les estimations, près de 715.000 sites de e-commerce exerceraient ainsi aujourd'hui en Europe. Pourtant, moins d'un millier sont inscrits auprès du fisc français.
"La fraude fiscale est importante, et va en s'accentuant", s'inquiète Vincent Drezet, qui invite à "repenser" le système fiscal français.
Selon un rapport de 2013 sur la fiscalité des géants du web, les gains de productivité générés par l'économie numérique ne se traduisent en effet pas par des recettes supplémentaires pour les grands Etats, les bénéfices fuyant les pays développés pour les paradis fiscaux.
Une situation dangereuse, selon les auteurs du texte, qui invitaient à "arrêter la spirale mortifère": le numérique gagnant tous les secteurs d'activité, les marges pourraient être délocalisées, et l'économie des pays industrialisés s'enrayer.
- "Obsolète" -
Conscients du danger, des sénateurs de la commission des Finances proposent ainsi dans deux rapports des solutions pour adapter le système fiscal français, jugé "obsolète".
Pour lutter contre la fraude dans le commerce en ligne, ils suggèrent un prélèvement à la source de la TVA. Cette dernière ne serait plus versée aux vendeurs (chargés ensuite de la reverser au Fisc), mais payée directement au Trésor Public, via un prélèvement effectué lors de l'achat par la banque du client - ce qu'on appelle un "paiement scindé".
Les parlementaires préconisent en outre que les revenus issus de l'économie collaborative soient centralisés et transmis automatiquement au fisc, via une plateforme indépendante. Seuls les revenus au-delà de 5.000 euros, dans ce dispositif, seraient cependant soumis à l'impôt, pour distinguer les vrais particuliers des professionnels déguisés, selon les sénateurs.
Une solution envisageable à court terme pour refonder le système fiscal français? A Bercy, on insiste sur la nécessaire clarification des règles en vigueur pour les activités commerciales et la fiscalité personnelle, au-delà de toute modification législative.
"Nous réfléchissons" à cette problématique "sans pour autant vouloir modifier les règles applicables", précise le ministère, qui insiste par ailleurs sur les efforts entrepris ces dernières années pour éviter l'optimisation fiscale dans le commerce en ligne. Mais aussi pour convaincre les principales plateformes internet de participer à l'effort collectif.
Fin août, le site de location d'appartements Airbnb a ainsi annoncé qu'il collecterait automatiquement à partir du 1er octobre la taxe de séjour à Paris, de 0,83 euro par nuit, pour le compte de ses hôtes.
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