Conséquence de l'instruction obligatoire à trois ans, votée cette semaine à l'Assemblée: les municipalités vont devoir financer la mesure pour les maternelles privées, un effet collatéral qui ranime le spectre de la guerre scolaire entre public et privé.
Des députés ont fustigé jeudi, lors de l'examen du texte en première lecture, les impacts financiers de cette mesure-phare, qui doit concerner 26.000 élèves, notamment en Outre-Mer.
Car l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire, qui passe de 6 à 3 ans, va engendrer des dépenses nouvelles pour les communes: elles devront désormais toutes financer les maternelles privées sous contrat, au même titre que les maternelles publiques.
Le coût de cette réforme est estimé entre 100 et 150 millions d'euros. Or l'Etat prévoit une compensation financière pour les seules communes qui, aujourd'hui, ne financent pas du tout les maternelles privées. Les deux tiers des communes les financent déjà, en totalité ou en partie: celles-ci ne seront pas indemnisées. Seul l'éventuel surcoût induit par la mesure sera pris en charge.
Une "injustice" pointée par plusieurs députés. "La bonne volonté" des communes qui ont choisi "de faire un geste" ne doit pas être "pénalisée", a ainsi regretté jeudi la socialiste George Pau-Langevin.
"Il y aurait matière à remettre le sujet à plat, afin que l’obligation de scolarité dès 3 ans aille de pair avec la construction de bâtiments publics (écoles: ndlr) et qu'il n'y ait pas d’effet systémique de financement public du privé", a de son côté estimé le député LFI, Alexis Corbière.
Autre inquiétude soulevée à l'Assemblée: la charge nouvelle engagée par les communes en 2019 ne sera compensée qu'en 2021.
La mesure de compensation prévue est "sage et équilibrée", et elle "n’avantage pas plus le privé que le public", a voulu rassurer le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer.
- "Effet d'aubaine" -
Dans une tribune dans L'Obs, une vingtaine de maires se sont pourtant indignés d'une obligation qui pourrait se mettre en place au détriment des écoles publiques.
"Il y a peu d'argent dans les caisses des collectivités, ce n'est pas le moment d'en rajouter dans celles du privé", déclare à l'AFP l'un des signataires, Patrick Bloche, adjoint à la maire de Paris chargé de l'Education.
En 1959, Michel Debré faisait adopter une loi garantissant un financement des écoles privées sous contrat à parité des moyens de fonctionnement des écoles publiques, rappelle la pétition. Une disposition qui "a fait l'objet de vifs débats tout au long de ces soixante dernières années". "Le gouvernement prend aujourd'hui le risque de ranimer cette vieille querelle", estime Patrick Bloche.
"Pour le privé, il va y avoir un effet d'aubaine financier certain, sans qu'aucune contrepartie ne lui soit demandé", s'offusque aussi Damien Berthilier, président du Réseau français des villes éducatrices.
Certains souhaiteraient en effet qu'en échange des subsides de l'Etat, le privé s'engage davantage en faveur de la mixité sociale.
Les écoles privées sous contrat (qui sont des écoles catholiques en très grande majorité) et les établissements publics dispensent le même programme scolaire. La différence entre les deux systèmes, c'est que le privé peut refuser des élèves, ce dont le public n'a pas le droit.
"Il faut que l'enseignement privé ait plus de comptes à rendre, notamment sur ce sujet-là", acquiesce André Jeffroy, de la Fep-CDFT (syndicat de l'enseignement privé), rappelant que de nombreux parents inscrivent leurs enfants dans le privé pour échapper à la carte scolaire.
Du côté de l'enseignement catholique, pas question de rouvrir une querelle scolaire. "Nous sommes conscients des contraintes budgétaires de certaines collectivités locales", assure Pierre Marsollier, délégué général chargé des relations politiques.
Concrètement, "nous ne leur présenterons pas la facture au lendemain de l’adoption de la loi", ajoute-t-il, espérant possible un "étalement sur quelques années" du financement par les communes des maternelles privées.
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