Depuis qu'il a révélé qu'il était gay, Lyes Alouane dit vivre un "enfer". Ce jeune homme originaire de Gennevilliers milite pour l'ouverture d'une permanence LGBT dans cette ville de banlieue parisienne où certains homosexuels doivent encore vivre "dans le secret".
Il y a deux ans, Lyes Alouane publie sur les réseaux sociaux une photo de lui embrassant son petit ami. Injures homophobes, crachats, jets de bouteille, parfois des coups: le jeune homme de 23 ans se dit, depuis, victime de "trois à quatre agressions minimum par semaine".
"Les gens qui m'agressent me disent que je n'ai pas le droit de passer sur leur +territoire+", assure-t-il.
Il a, ces derniers temps, trouvé refuge à Paris avec l'aide de Stop Homophobie, association au sein de laquelle il milite. A compter du 1er décembre, la ville de Gennevilliers met un local à disposition de l'association qui prévoit ainsi d'ouvrir sa première permanence en banlieue parisienne.
Dans la capitale ou les grandes villes, "on peut +visibiliser+ son homosexualité", alors qu'en banlieue, ça reste "tabou", dénonce Lyes Alouane, mettant cet état de fait sur le compte de la culture et de la religion.
De plus, dans certains quartiers, "il n'y a pas d'anonymat, on se connaît les uns les autres" comme dans un village, note Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers.
Le secrétaire général de Stop Homophobie Terrence Katchadourian pointe aussi "la difficulté de déposer plainte". A cause notamment de la "promiscuité" dans les quartiers, les victimes disent avoir "peur que ça se retourne contre elles".
L'association a recensé plusieurs centaines d'agressions homophobes en banlieue parisienne depuis le début de l'année en se fondant sur des témoignages de victimes.
Sollicités par l'AFP pour corroborer ce chiffre, ni le ministère de l'Intérieur, ni la Préfecture de police de Paris n'ont donné suite.
Un chiffre que SOS homophobie n'est pas non plus en mesure de confirmer. "L'homophobie est présente dans tous les milieux, sur tout le territoire", souligne son président Joël Deumier.
Entre janvier à septembre 2018, les plaintes où apparaît le "caractère homophobe" ont augmenté de 15% sur un an en France, selon le gouvernement.
- "Ca se normalise" -
Comme M. Deumier, ils sont nombreux à ne pas réduire le problème à la seule banlieue, à l'instar d'Eric Fassin, sociologue au département des études de genre de l'université Paris-8 de Saint-Denis.
"Quand ces agressions surviennent en banlieue, où vit une importante population étrangère, on se dit que c'est parce que c'est +en banlieue+, donc que c'est culturel. En revanche, quand ça arrive au centre-ville, on ne l'explique pas par la culture locale".
"En 2012 et 2013, on a clairement vu, avec la Manif pour tous, que l'homophobie venait plutôt de la bourgeoisie que de la banlieue, plutôt de Versailles que de Saint-Denis, plutôt des catholiques que des musulmans", ajoute le sociologue.
Mohamed Aïsanni, 44 ans, est secrétaire de la section PCF de Bobigny (Seine-Saint-Denis) où il vit depuis 2011. Son homosexualité ? "Je l'affiche ouvertement. Tant pis si ça dérange." "Je ne nie pas l'homophobie en banlieue, mais je n'y ai jamais été confronté frontalement", ajoute-t-il.
Selon une étude publiée en 2017 par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, "les acteurs de terrain rapportent une forte prégnance de l'homophobie et la nécessité pour de nombreux homosexuels du département de vivre leur orientation sexuelle dans le secret vis-à-vis de l'entourage et parfois de leur famille".
Le "coming out" est difficile dans certaines familles en raison "du poids des traditions", note M. Aïssani. "Mais ça n'est pas spécifique aux quartiers, ça existe aussi dans les familles bourgeoises."
Reste l'absence de lieux sociaux gays dans un département qui compte plus de 1,5 million d'habitants. "Ca manque, mais peut-être que ça viendra un jour", espère le militant. "Avec l'arrivée de nouvelles populations, les Parisiens notamment, ça ouvre un nouveau bassin de clientèle."
Une évolution qu'observe également la sociologue Salima Amari qui vient de publier une thèse sur les "lesbiennes de l'immigration". "Avec les nouvelles générations, celles qui ont 16-17 ans, ça se normalise tout doucement", explique la chercheuse, se voulant "optimiste".
Vos commentaires