Les habitants de Barneville-Carteret, sur la côte ouest de la France, risquent à tout moment d'être inondés. Le niveau de La Manche monte et il lui arrive de ne se trouver qu'à 15 centimètres du haut de la digue qui passe au fond de leur jardin. Mais il n'ont pas peur et n'entendent pas quitter leurs maisons.
L'an dernier, la Manche est arrivée à 15 centimètres du haut de la digue qui passe juste derrière leurs maisons. Mais ni la montée des eaux ni le réchauffement climatique n'effraient ces habitants de Barneville-Carteret, sur la côte ouest du Cotentin. "C'est beaucoup de cinéma pour pas grand-chose. J'ai dit en rigolant à mon mari que j'allais lui acheter une barque et un scaphandre!", plaisante une retraitée de 73 ans, alors que l'Etat lui demande d'équiper sa maison à étages d'un anneau d'ancrage pour les secours.
Dans ce quartier, la préfecture impose pour les maisons sans étage la construction d'une pièce refuge située au-dessus du niveau de la mer attendu en 2100, soit 60 cm plus haut qu'aujourd'hui. "Si vraiment il y a un risque pareil, il faut nous racheter nos maisons. Pour un problème qui se posera peut-être dans un siècle, nos maisons sont invendables!", s'agace une voisine âgée de 71 ans, pas perturbée outre-mesure par la réunion au Bourget du sommet sur le climat (COP21).
Au fond de leurs jardins passe une digue de 8 mètres de haut, datant de 1870. L'ouvrage a été rehaussé de 50 cm par la mairie en 2014, après que l'eau avait léché le haut du mur. Des centaines d'habitations se retrouveraient inondées si la digue qui borde ce havre (port naturel inondé lors des grandes marées) cédait. "En bateau, on ne voit parfois que les toits des maisons derrière la digue", explique l'adjoint au maire, Jean-Louis Revert. "Ca ne m'empêche pas de dormir" parce que les marées et la météo sont prévisibles, ajoute l'élu, qui travaille toutefois sur un système d'alerte de la population par téléphone. Face au risque, l'Etat a annoncé pour la fin de l'année un plan de prévention des risques littoraux (PPRL).
Ces zones "n'auraient jamais été construites si on avait eu les données climatiques à l'époque"
Barneville et les communes voisines de la Côte des Isles, en face des îles Anglo-Normandes, font partie des quelque 300 communes jugées prioritaires en France pour la mise en place de ces PPRL, renforcés en 2011 après les 47 morts de la tempête Xynthia en Vendée et Charente-Maritime. Ici, sur 10 km de littoral, près de 8.000 personnes vivent l'été sous le niveau de la mer. A Portbail et Barneville, les communes les plus concernées, près de 850 maisons sont sérieusement menacées de submersion, selon un récent rapport d'enquête publique.
Ces zones "n'auraient jamais été construites si on avait eu les données climatiques à l'époque", précise Stéphane Costa, de l'université de Caen. "Totalement ouverte" aux tempêtes de l'ouest, et avec les marées record du Mont Saint-Michel, la côte ouest du département de la Manche est "extrêmement vulnérable", selon ce professeur, qui préside le conseil scientifique de l'évolution du trait de côte français.
"Le réchauffement climatique? La digue suffit, on a mesuré le niveau de l'eau"
"Mais on n'a été inondés qu'une fois, en 1974, et parce que des gens avaient fait des trous dans la digue", argumente une Barnevillaise, dont les propos sont confirmés par la mairie. "Le réchauffement climatique? La digue suffit, on a mesuré le niveau de l'eau", poursuit cette ancienne comptable de 89 ans, dont la maison, comme beaucoup dans le quartier, n'a qu'un grenier aménagé pour tout refuge, avec des velux qui ne permettent pas l'évacuation, contrairement à ce que demande l'Etat.
Son voisin d'en face est "inquiet pour les Indiens d'Amazonie" ou "pour les gens qui vivent près d'un aéroport" mais pas pour lui. "On est heureux ici. Les petits enfants profitent du jardin, de la mer", souligne cet ex-commercial de 74 ans.
"L'Etat veut se couvrir. Mais il faut penser que les braves gens qui vont devoir faire les travaux les plus chers sont les plus modestes, ceux dont le petit coin de paradis n'a pas d'étage", poursuit-il.
Les travaux pourraient ainsi se facturer à plusieurs dizaines de milliers d'euros dans certains cas, selon M. Revert. Une aide partielle de l'Etat est évoquée. Reste que "ça m'étonnerait que la préfecture aille vérifier dans chaque maison si les travaux sont faits", lâche un élu.
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