C'est un quartier à deux pas du célèbre Montmartre et du Sacré-Coeur. Un quartier, qualifié en son temps de "no-go zone" par la chaîne Fox News. Mais la bouillonnante "petite Afrique" de Paris attire aussi touristes, entrepreneurs et universitaires, séduits par sa diversité et son histoire.
"Quand je dis Goutte d'Or, les gens me disent, oh non n'y va pas, et je réponds: mais pourquoi donc? ". Patrick Banks est un entrepreneur afro-américain, originaire d'Oakland, installé dans la capitale française depuis quelques années.
"Paris est une des plus belles villes du monde, mais c'est une ville diverse, et si vous ne visitez pas ces quartiers, vous ratez ce qui fait la saveur de Paris, ce qu'il y a au-delà de la carte postale", s'enthousiasme-t-il.
Il a découvert ce secteur populaire du nord-est parisien et son histoire, fondée sur des vagues de migrations successives, en suivant une jeune guide touristique qui organise depuis quelques années des plongées dans le coeur africain de Paris.
"Je veux faire découvrir les trésors de cet endroit, au-delà du fait que les rues sont sales, les bâtiments délabrés. C'est un quartier de prostitution et de vente de drogue, mais c'est aussi un quartier où travaillent des créateurs reconnus, où la culture populaire africaine a pignon sur rue, et un quartier adoré par ses habitants!", sourit la fondatrice de "Little Africa", Jacqueline Ngo MPii, jeune française d'origine camerounaise.
- Wax et success stories -
Plus de 300 boutiques dédiées à la mode et à la gastronomie africaines sont installées dans ce quartier d'un peu plus d'un km2, qui évoque pour les touristes américains Harlem ou Brooklyn, assure Mme Ngo MPii.
Bienvenue dans wax city, parsemé de boutiques vendant les fameux pagnes emblématiques de l'Afrique... en réalité un tissu d'origine coloniale néerlandaise, rappelle la guide.
En ces temps de manifestations anti-racistes, où l'émotion mondiale provoquée par la mort de l'afro-Américain George Floyd n'est pas retombée, la Goutte d'Or n'a pas attendu pour revendiquer son identité noire et africaine, insiste Youssouf Fofana.
Dans sa petite boutique de la rue Myrrha, ce jeune créateur d'origine sénégalaise d'une marque de vêtements internationalement connue, "Maison Château Rouge", s'étonne "qu'on ait encore à manifester en 2020 pour que les choses changent".
"Les entrepreneurs de la diaspora n'ont pas attendu pour valoriser la culture africaine, contribuer aux changements du monde", poursuit M. Fofana, qui déplore que les créateurs africains ne soient pas valorisés "tant qu'ils n'ont pas la validation d'une grande enseigne ou d'une institution" blanches.
Très présente sur les réseaux sociaux, "Maison Château Rouge" a une clientèle japonaise, américaine, mais c'est avant tout "une marque qui parle aux Parisiens et qui parle aux Africains", sourit le jeune homme.
A quelques pas de là, le tailleur Alexandre Zongo, de Mazalay Couture, s'affaire dans sa boutique, débordé de commandes. "On vient de très loin dans ma boutique, et j'ai d'ailleurs plus une clientèle européenne qu'africaine", explique le créateur, qui a notamment relancé le faso danfani, tissu traditionnel du Burkina Faso, en travaillant avec une coopérative de femmes sur place.
"Je me suis installé ici parce que j'aime beaucoup le quartier, je ne veux pas que ce soit vu comme un message communautaire", précise-t-il.
- Universitaires américains -
Covid oblige, les visites de "Little Africa" n'ont pas repris, les touristes faisant cruellement défaut. Toutefois, Jacqueline Ngo MPii a signé avec l'office de tourisme de Paris pour la mise en place d'une visite virtuelle du quartier.
"Dans le contexte actuel, je me dis qu'on a eu raison d'investir dans la culture. Il faut raconter qui on est pour que les gens changent de regard et de mentalité", souligne-t-elle.
"Cette diversité, c'est une putain de richesse pour la France", martèle la guide, qui draine d'habitude une importante clientèle américaine, notamment scolaire. "Les professeurs, noirs ou blancs, veulent découvrir quelle est l'expérience des Noirs en France, parler des questions sociales, du racisme, de l'immigration..."
"Les Afro-américains en particulier veulent voir de l'art africain, des marques qui promeuvent la diversité... Le marché du tourisme afro américain est de 63 milliards de dollars par an, c'est beaucoup d'argent, et nous savons comment l'investir pour changer les choses", sourit le Californien Patrick Banks.
Avant de confier avoir découvert en creux le racisme en France: "Ici, je suis privilégié car je suis Américain. Quand les gens entendent mon accent, le service change, je suis mieux traité, et c'est triste, car je comprends que j'ai un privilège que les autres (Noirs) n'ont pas", dit-il.
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