Une nouvelle fois lourdement défaite dimanche dernier, la gauche dans le Nord-Pas-de-Calais paie le prix de ses errements locaux mais surtout l'addition de la crise industrielle qu'elle a prise de plein fouet, selon des analystes et militants de la région.
"Les facteurs locaux ont à peine joué, j'en suis persuadée. Penser le contraire serait une erreur considérable", confie une militante PS expérimentée, élue à Lille, qui préfère garder l'anonymat.
Au premier tour des élections régionales, le PS n'a totalisé que 19,45% des voix dans les deux départements qui formaient un fief socialiste, et la gauche dans son ensemble (hors extrême gauche) 30,18%, contre 54,7% au premier tour des régionales de 2010.
Aux municipales de mars 2014, le PS avait déjà perdu Roubaix, Tourcoing, Dunkerque, Arras et Hénin-Beaumont, entre autres. Un an plus tard, il perdait le département du Nord au profit de la droite, pourtant historiquement faible en Nord-Pas-de-Calais. A Lille, Martine Aubry doit se sentir bien isolée.
En fait, souligne Pierre Mathiot, professeur de sciences politiques à l'IEP de Lille, même si elle a été masquée par "la séquence 2008-2012", "l'érosion électorale du PS était engagée depuis une dizaine d'années". "Le triomphe de 2012 avait surtout pour raison une démobilisation de l'électorat de droite", abonde Alain Cacheux. Cet ancien député PS et adjoint à Lille se sent aujourd'hui "un peu désarmé" pour expliquer la déroute de dimanche.
Professeur de sciences politiques à Lille, Christian-Marie Wallon-Leducq pointe avant tout "une désindustrialisation énorme dans la région", surtout à partir des années 1980.
La fermeture des mines de charbon, d'aciéries (Denain), de filatures et autres entreprises textiles ont laissé sur le carreau des dizaines de milliers d'ouvriers, sans solution d'emploi faute d'industries de substitution.
Réservoir traditionnel du PS et du PCF, "la classe ouvrière a été exposée au chômage, dans des lieux en perte de service public. Des élus ont gardé une part de ces électeurs dans un premier temps, mais ces générations sont en train de disparaître".
Beaucoup de ceux-là, et leurs enfants eux-mêmes frappés par le chômage, ont fait grossir les cohortes d'électeurs frontistes.
- "Déliquescence" -
Les experts électoraux et géographes qui ont scruté le vote de dimanche dernier relèvent une constante dans tous les scrutins depuis 2012 : les régions où le vote FN est le plus bas sont celles qui attirent des habitants, ont un solde migratoire positif à l'intérieur de l'Hexagone. Parce que leur santé économique est meilleure. Pour la même raison, le parti d'extrême droite est en queue de peloton dans les grandes métropoles mais en ascension dans les zones péri-urbaines.
"Les classes moyennes basses éloignées des centres métropoloitains ne se sentent pas incluses dans une dynamique. Ca, c'est la responsabilité nationale des gouvernements, de gauche comme de droite", souligne l'élue lilloise.
Selon les derniers chiffres connus, la région Nord-Pas-de-Calais a recommencé à créer plus d'emplois qu'elle n'en détruit. Les infrastructures de transport ont valorisé sa position de carrefour dans le nord de l'Europe, les industries d'avenir (nanotechnologies, technologies vertes, etc.) bénéficient d'investissements importants. Mais "inverser la courbe du chômage prendra du temps", a reconnu Pierre de Saintignon, tête de liste socialiste aux régionales.
Au PC, on met d'abord en cause la politique du gouvernement socialiste. "Depuis que Hollande est président, combien d'avertissements a-t-il reçu pour dire qu'il n'était pas en phase avec la population? Quand en a-t-il tenu compte?", dénonce Jacky Hénin, ex-maire communiste de Calais, où le FN a enregistré un score proche de 50%.
A la récession économique se sont ajoutées des péripéties internes aux socialistes, ce que Pierre Mathiot appelle une "déliquescence" du PS local: "clashes au sein de la fédération du Nord (entre aubrystes et "hollandais"), perte importante du leadership de Martine Aubry, bisbilles entre Pierre de Saintignon et le président de région sortant Daniel Percheron".
Sans oublier des "affaires", comme les détournements de fonds pour lesquels a été condamné en 2013 Gérard Dalongeville, ancien maire d'Hénin-Beaumont.
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