Une expérience "surréaliste" qui isole et ne laisse pas "indemne": d'anciens jurés racontent à l'AFP le "vertige" des procès d'assises, avant les grands débuts d'une nouvelle juridiction qui jugera des crimes sans jury populaire.
A partir de septembre, les "cours criminelles", créées pour accélérer les procédures, examineront des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion, dont des viols, et seront expérimentées pendant trois ans dans sept départements.
"Je voulais rentrer dans ses tripes"
. Marie-Pierre, 56 ans, juriste en Ile-de-France, jurée il y a une dizaine d'années à Créteil
Quand elle a reçu le courrier de convocation, Marie-Pierre s'est d'abord sentie "excitée" à l'idée "de savoir comment se passe un procès de l'intérieur" mais rapidement, la "peur de se tromper" a pris le dessus.
Convoquée pour une session de trois procès, la juriste a dû apprendre "quelques éléments sur la justice" et a visité une prison. "A ce moment, on se dit tous: +on a intérêt à bien réfléchir+".
Marquée par la dernière affaire, celle d'un meurtre, Marie-Pierre revoit cette image de l'accusé "arrivé libre à l'audience, avec sa femme et ses enfants et reparti en menottes".
Juste avant le délibéré, elle s'était retrouvée par hasard derrière l'accusé dans une boulangerie: "Je n'avais qu'une envie c'était de rentrer dans ses tripes pour connaître la vérité, car je n'étais sûre de rien".
"La veille du verdict, j'ai fait une nuit blanche pour écrire tout ce que j'avais entendu pendant le procès", explique-t-elle, décidée à défendre son "intime conviction" face aux juges professionnels.
Pour Marie-Pierre, "c'était une période très lourde: j'étais très seule, pendant le procès mais aussi après alors que j'étais mariée, avec enfants et un travail".
"C'est toujours le juge qui décide"
. François, 40 ans, chef d'entreprise en Ile-de-France, juré en 2012 à Paris
"Je n'en suis pas revenu quand j'ai reçu le courrier, je ne pensais pas que ça allait m'arriver un jour", raconte François, "pas forcément content" de se retrouver "dans la peau" d'un juge.
Tiré au sort pour deux affaires, un viol et un braquage à main armée, le chef d'entreprise s'est senti "manipulé par les magistrats pendant les délibérés".
"Le président sait très bien où il veut nous emmener, finalement c'est toujours le juge qui décide", assure-t-il, peu convaincu par le jury populaire. Pour lui, "c'est un métier de juger".
Mais il conserve le souvenir d'"un spectacle surréaliste". "Les assises c'est tout sauf froid, c'est le théâtre, et l'oralité est la plus importante".
"Ça ne laisse pas indemne"
. Morgane, 39 ans, traductrice, jurée en 2007 à Rennes
Tirée au sort, elle entrait pour la première fois dans une enceinte judiciaire, avec "un mélange d'appréhension et de fascination, de curiosité un peu malsaine".
Le fait de juger des viols sur des femmes de son âge l'a mise "en vrac". "Le soir de la première audience, j'ai mis ma voiture dans le fossé."
Elle garde un souvenir marquant du délibéré - écrit par chaque juré "sur des petits bouts de papier" - et des "tensions" dans "la toute petite pièce" où ils étaient réunis. "Pas mal de femmes un peu plus âgées étaient choquées que les gens ne proposent pas des peines importantes", confie-t-elle.
"J'y repense assez souvent, pas comme quelque chose de traumatique, mais ça ne laisse pas indifférent, ni indemne", ajoute-t-elle.
"Juger, c'est difficile"
. Florian, 25 ans, étudiant en science politique, juré en février 2019 à Paris
Suivant des cours de sociologie du droit, Florian n'a pas été "surpris par l'appareil judiciaire" mais plutôt par le "travail en amont des magistrats". "Ils ont aussi pris le temps d'apprendre nos prénoms et nos professions, de nous conseiller", souligne l'étudiant.
"Le président était très à l'écoute et ne voulait pas nous influencer", raconte Florian.
"Juger, c'est difficile" car "on a toujours un doute et les avocats travaillent sur ces doutes", estime Florian, qui songe, depuis, à se lancer dans la magistrature.
"Des moments de pur vertige"
. Hervé, 62 ans, ancien journaliste, juré suppléant en 2015 à Douai
"Pendant une semaine, ma vie a tourné autour de cette affaire", relate l'ancien journaliste de la Voix du Nord, qui évoque des "moments de pur vertige", notamment lorsque "l'accusée a revécu la scène du crime en la racontant de manière glaçante, sans aucune émotion".
Juré suppléant, Hervé n'a toutefois pas pu participer aux délibérations avant le verdict: "Le fait d'avoir été complètement immergé pendant une semaine dans une affaire et puis d'être dans une salle juste à côté au moment du verdict, c'est extrêmement frustrant".
Il reste toutefois attaché aux jurys populaires, cet "acquis de la Révolution française". "Si c'est confié uniquement à des professionnels, il y a une perte de sens".
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