"On a visé la France, des civils, mais il n'y avait rien de personnel": glaçant l'audience, Salah Abdeslam a froidement justifié mercredi sa participation aux attentats du 13-novembre par l'intervention militaire française contre l'Etat islamique en Syrie. Un silence de plomb s'abat sur l'immense salle d'audience quand Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie des commandos qui ont fait 130 morts et des centaines de blessés, se lève dans le box, à l'invitation du président de la cour d'assises spéciale de Paris.
La cour, qui n'interrogera pas les accusés avant novembre sur leur personnalité, et en 2022 sur le fond du dossier, souhaite une "déclaration spontanée", "succincte" résumant leur position sur les faits qui leur sont reprochés. "Pas un discours", prévient le magistrat Jean-Louis Périès.
La parole à l'accusé
"Bonjour à tous, je serai un peu plus long", lance Salah Abdeslam, 32 ans ce mercredi, semblant à l'aise derrière le box vitré quand il prend la parole à la suite de ses 13 coaccusés, demandant à se tourner vers le président.
D'une voix pesée, mesurée, qui contraste avec ses vitupérations des premiers jours d'audience, il discourt pendant cinq minutes sur la politique française au Moyen-Orient, de Jacques Chirac à François Hollande, ou donne sa propre définition des "terroristes, jihadistes, radicalisés".
"En réalité, il ne s'agit que d'islam authentique, et ces terroristes, ces radicaux sont des musulmans", dit-il calmement, masque noir baissé sur sa barbe garnie, t-shirt sombre et veste polaire foncée sur le dos.
"Le show"
"Moi je vous dis: on a combattu la France, on a attaqué la France, on a visé la population, des civils, mais en réalité on n'a rien de personnel contre ces gens-là, on a visé la France et rien d'autre", continue Salah Abdeslam, blâmant les "avions français qui ont bombardé l'Etat islamique, les hommes, les femmes, les enfants".
"François Hollande savait les risques qu'il prenait en attaquant l'Etat islamique en Syrie", accuse le Franco-Marocain.
A l'ouverture de ce procès hors norme, prévu pour durer neuf mois, Salah Abdeslam avait déclaré avoir "délaissé toute profession pour devenir combattant de l'Etat islamique", puis s'était arrogé le droit de prendre la parole à plusieurs reprises sans y être invité; des "provocations" pour les parties civiles.
Je sais que je peux choquer
"J'essaie d'être le plus clair possible, je sais que je peux choquer, heurter des gens, surtout les plus sensibles. On dit de moi que je suis provocateur, mais moi je veux être sincère avec ces gens-là et ne pas leur mentir", conclut Salah Abdeslam en assurant que "le but n'est pas de blesser".
A plusieurs mètres du box, les bancs où ont pris place des dizaines de parties civiles commencent à bruisser, des yeux rougissent au-dessus des masques. Des victimes s'étreignent, d'autres restent prostrées, semblant accuser le coup. Des membres de l'association Paris aide aux victimes circulent dans les travées.
Lors d'une brève suspension, Sophie Parra, 37 ans, rescapée du Bataclan, ne cache pas sa "colère" envers Salah Abdeslam, dont elle "refuse de prononcer (le) nom". "Au lieu de dire qu'il était désolé, il a juste justifié ce qu'il avait fait. (...) Je pense qu'il a fait le show, qu'il sait que ses propos vont être relayés", déplore-t-elle.
"Je témoignerai, j'attends de pouvoir lui répondre, lui dire ce qu'a été mon 13-Novembre, de voir des gens mourir sur moi. Je le lui dirai à la barre, je ne le lâcherai pas du regard et j'espère qu'il ne me lâchera pas du regard", déclare encore Mme Parra en marge de l'audience.
Les autres accusés ont brièvement pris la parole. Certains ont exprimé leur "compassion" avec les victimes mais réfuté être des "terroristes", d'autres ont reconnu une partie des faits qui leur sont reprochés. Une partie d'entre eux a préféré refuser de s'exprimer à ce stade.
L'audience se poursuivait avec l'audition d'un enquêteur de la brigade criminelle de Paris, sur le parcours réalisé par les commandos le soir des attentats, les plus sanglants jamais commis en France.
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