L'indignité derrière le rideau de perles: les anciens employés d'un salon de coiffure du Xe arrondissement de Paris ont décrit vendredi au tribunal correctionnel leurs interminables journées à tresser ou manucurer, sans être payés, entre vapeurs toxiques et fuites d'eau.
Deux anciens gérants du salon sont poursuivis pour une longue liste de délits: travail dissimulé, emploi de personnes en situation irrégulière, rétribution inexistante, pas de toilettes ni de lavabo pour les salariés, absence d'aération et d'extincteur dans le sous-sol où s'effectuaient les teintures, installation électrique non conforme à proximité d'une fuite d'eau...
Le premier, Mohamed Bamba, Ivoirien, gérant de fait du salon auquel avaient affaire les employés, est en fuite. Le second, Walid Daollat, un Jordanien gérant de droit du commerce et déjà condamné pour des faits similaires dans un autre salon, affronte seul le tribunal et se présente comme "une victime".
Le procureur a requis dix mois de prison ferme et 10.600 euros d'amendes à l'encontre de Walid Daollat, et deux ans dont un an avec sursis et 15.900 euros d'amendes à l'encontre de Mohamed Bamba. Le tribunal rendra sa décision le 10 novembre.
L'affaire avait fait grand bruit : une grève dans un des salons de coiffure afro du boulevard de Strasbourg, où s'alignent les vitrines vantant mèches, perruques et extensions, où des rabatteurs attirent le chaland avec des prix défiant toute concurrence.
Un monde sans loi. Pourtant, le 22 mai 2014, les 18 employés du New York Fashion cessent le travail et occupent les locaux du 57, boulevard de Strasbourg: un salon sur trois étages où ils travaillent de 8H30 jusqu'à parfois 22H00 ou minuit. Ils sont chinois, guinéen, burkinabé, malien, nigérian ou ivoirien, à l'époque presque tous en situation irrégulière, tous décidés "à dire que ça suffit".
- "Payés par tête" -
Ils ont pour "modèle" la grève lancée quelques mois avant au salon, beaucoup plus modeste, du 50 du même boulevard. Dès le 23 mai, alertée par la CGT, l'inspection du travail est au salon. Le gérant Walid Daollat déclarera tardivement ses salariés, sortira en juin plus de 25.000 euros cash pour commencer à rattraper les arriérés de salaire. Puis tentera de liquider le salon, déclenchant l'action en justice des salariés.
A la barre, Aminata, une jeune Guinéenne, tresses blondes en cascade sur les épaules, décrit un système bien rôdé: "On était payé par tête, à 40/60: 60% pour le patron, 40% pour nous. Les coupes pouvaient faire 50 ou 100 euros... prendre parfois cinq ou six heures pour des tresses."
Les Chinoises, en charge de la manucure, sont mieux loties : payées à 50/50. Xuejiao, qui frotte ses doigts abîmés et explique en souriant avoir respiré des vapeurs toxiques dans un sous-sol sans aération, a ainsi été payée 4.000 euros sur cinq mois.
Pourquoi cette différence de traitement entre les Chinois et les Africains? "C'est une question de concurrence, pour Me Maxime Cessieux, l'avocat des ex-salariés, dont 16 se sont constitués partie civile. Les Chinois ont des salons de manucure, ont un savoir-faire. Il faut les payer pour qu'ils acceptent de travailler."
Au "57", le cash circule. La présidente fait un rapide calcul et sursaute : "Avec une moyenne de six clients par jour, à environ 50 euros chacun, avec 15 salariés, on arrive à 130.000 euros par mois!"
Fatou, une Ivoirienne d'une quarantaine d'années, explique pourquoi: comme d'autres, entre décembre 2013 et juin 2014, elle n'a "jamais rien perçu, pas un euros", n'a "jamais eu de vacances".
"Quand on était malade, Bamba appelait, il disait: +Une cliente est là pour toi, tu dois venir+", ajoute-t-elle. Dans la salle, les coiffeuses hochent la tête, l'une serre l'épaule de l'autre.
Quand ils ont lancé leur grève, les employés ont reçu des menaces de mort. Tout comme la déléguée CGT qui les a soutenus et conseillés. Leur avocat a réclamé 5.000 euros pour chacun des ex-salariés.
L'avocat de Daollat a soutenu que son client, qui avait "investi 100.000 euros dans cette affaire", avait "perdu des plumes", été à la fois "victime de son gérant Bamba" et du "rouleau compresseur de la CGT".
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