A la sortie d'un bar, dans une gare, devant le lycée... Ils ont "arrêté de compter". Les contrôles au faciès, que certains ont intégré dans leur quotidien, nourrissent le ressentiment et la défiance d'une partie de la population vis-à-vis de la police.
Le premier contrôle d'identité ? "A 16 ans!", se souvient Aboubacar-Séga Kanouté, journaliste mode. "Nous sortions du lycée avec un ami qui me raccompagnait chez moi en banlieue parisienne", raconte le trentenaire aux souvenirs intacts.
"Le premier sentiment, c'est la crainte. Pas de bonjour, rien. Les lampes dans la figure, ils nous intimaient de sortir du véhicule", rembobine-t-il. Ensuite, "la crainte doublée d'un +garde ton calme, ne leur donne pas l'occasion de te coller une mandale+".
Depuis, il a "arrêté de les compter". Le dernier remonte à une semaine, à Paris. "Je n'ai pas confiance en la police je me sens en insécurité à leur contact", confie le chroniqueur radio.
"Les policiers ne sont pas tous racistes mais l'institution policière l'est", estime le journaliste.
Ces contrôles d'identité à répétition sont un point de crispation entre la police et une partie de la population - principalement issue de l'immigration. Nombreux le vivent comme une discrimination.
Leurs cadres légaux sont multiples avec des finalités différentes : contrôler aux abords des frontières, rechercher sur réquisition du procureur des infractions précises dans un lieu et pour une durée déterminés, interpeller une personne soupçonnée de commettre un délit ou, enfin, prévenir une atteinte à l'ordre public.
Ce dernier type de contrôle, dit "administratif" ou "préventif", "est totalement déconnecté du comportement de la personne", explique l'avocat Slim Ben Achour.
Cela pousse "les policiers à contrôler en fonction d'attributs racisés. Le contrôle d'identité à la française n'est pas lié à la délinquance mais à la nationalité, au fait de ne pas être légitimes car potentiellement délinquants", dénonce ce spécialiste des questions de discriminations.
"Si tu as un vol avec violence qui vient de se commettre et que sur les ondes on te transmet une description vestimentaire, une veste à capuche rouge par exemple, sans la couleur de peau, et que tu as sur le secteur un blanc et un noir avec le même haut rouge, instinctivement, tu iras vers le noir", témoigne un policier de la CSI 93.
"Pour prendre le moule, on vous apprend à chasser. Parfois c'est fait de manière intelligente, repérer des personnes qui sont susceptibles de commettre des infractions et parfois c'est à la gueule du client", abonde un autre policier de la région parisienne.
- Cercle vicieux -
"Je vis avec les contrôles d'identité" depuis l'adolescence contrairement à "mes collègues blancs", confie Florent, 33 ans.
L'an dernier, cet avocat parisien est contrôlé par deux policiers à la sortie d'un supermarché. "Sans motif, ils me demandent mon téléphone. Je leur répond que +c'est une violation de la vie privée, qu'il faut une commission rogatoire au même titre que pour une perquisition+ et je leur demande de me vouvoyer", témoigne le pénaliste.
S'en suit, dit-il, une violente interpellation avec "étranglement" et coups au sol. Les policiers parviennent à récupérer ses téléphones, puis les jettent après vérification et repartent sans explication, rapporte l'avocat.
Outre le caractère discriminatoire des contrôles, se pose aussi la question de leur efficacité.
"Le taux de réussite est estimé entre 5 et 10%", selon Jacques de Maillard, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) qui précise que la police française contrôle plus que "leurs équivalents des autres pays occidentaux".
"A New York, quand ils ont réduit drastiquement le nombre des contrôles, le taux de réussite a augmenté et la délinquance n'a pas augmenté avec la baisse des contrôles", explique M. Maillard.
Pour le chercheur, un cerce vicieux s'installe: "la multiplication des contrôles proactifs ne donnant rien sur le plan judiciaire est une source de tensions, alimentant la défiance... et rendant ensuite le travail policier plus difficile".
"Le contrôle préventif ne se justifie pas dans une démocratie. Il faut faire comme dans d'autres pays, réserver les contrôles d'identité à des raisons objectives", estime Me Ben Achour qui a obtenu en 2016 la condamnation de l'État pour des contrôles d'identité "au faciès", une première.
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