Fouiller les montagnes de déchets est le gagne-pain de Keman. Dans un grand sourire, cet habitant de Bangun, l'un des "villages de plastique" d'Indonésie spécialisés dans le recyclage, se félicite d'avoir ainsi pu financer l'éducation de ses enfants.
Alors que de nombreux pays cherchent à limiter l'usage du plastique jetable, pour les habitants de Bangun, les déchets plastiques importés sont devenus une source précieuse de revenus. Les deux tiers des habitants trient et revendent des bouteilles, des emballages et des tasses de plastique usagées aux compagnies de recyclage locales pour vivre.
Tout ça a été possible grâce à mon dur travail qui est de fouiller dans les déchets
"J'ai trois enfants, tous sont à l'université", indique fièrement à l'AFP Keman, marchant dans un champ d'ordures qui lui arrivent à la cheville. "Tout ça a été possible grâce à mon dur travail qui est de fouiller dans les déchets", explique cet homme de 52 ans qui, comme de nombreux Indonésiens, n'a qu'un nom.
(c)AFP
Bangun est l'un des nombreux villages pauvres de l'île de Java - la plus peuplée d'Indonésie - qui se sont spécialisés dans le retraitement des déchets, la plupart importés de pays occidentaux, Etats-Unis, Grande-Bretagne ou Belgique, mais aussi du Moyen-Orient.
Depuis que la Chine a interdit l'importation de plusieurs catégories de déchets l'an dernier, le circuit du recyclage mondial est en plein chaos et les pays occidentaux cherchent de nouvelles destinations pour les déchets qu'ils n'arrivent pas à retraiter. Les pays d'Asie du Sud-Est sont devenus une alternative privilégiée même si certains d'entre eux ont déjà renoncé au vu des nuisances liées à cette industrie.
Les importations de déchets plastiques vers l'Indonésie ont ainsi bondi récemment, passant de 10.000 tonnes par mois fin 2017 à 35.000 tonnes par mois à la fin 2018, selon l'ONG Greenpeace.
Depuis l'interdiction chinoise d'importer la plupart des déchets venus de l'étranger, "la situation a empiré" en Indonésie, souligne Muharram Atha Rasyadi, de l'organisation de protection de l'environnement.
Ces déchets sont très rentables pour mes concitoyens et contribuent à soutenir l'économie locale
Plus d'une quarantaine de camions arrivent chaque jour à Bangun pour y déverser leur cargaison de déchets devant les habitations ou dans des champs où se forment des montagnes d'ordures, parfois aussi hautes que les toits des maisons.
Des papetiers importent depuis plusieurs années des déchets variés qu'ils déversent dans cette ancienne localité agricole, souvent mélangés aux cargaisons officielles de papiers recyclables, selon les défenseurs de l'environnement.
A mains nues ou armés de râteaux et de pelles, les habitants trient les ordures avec un masque de tissu en guise de protection.
Accroupie dans les déchets, Pumisna, une mère de famille, fouille dans les tas d'ordures pour récupérer des morceaux d'aluminium, des bouteilles en plastique et des tasses. Cela lui permet de gagner quelques dollars par jour. Parfois, de vrais trésors se cachent dans les monceaux de déchets : des billets verts, des euros ou des livres sterling.
"Je dois gagner de l'argent pour faire les courses, payer l'école de mes enfants et les nourrir", indique cette femme de 35 ans.
M. Ikhsan, le chef du village, défend vigoureusement cette activité et balaye les risques pour l'environnement ou la santé. "Ces déchets sont très rentables pour mes concitoyens et contribuent à soutenir l'économie locale", souligne-t-il.
Les déchets plastiques non recyclables sont vendus à des usines de tofu des environs, où ils servent de combustible aux fours, détaille-t-il.
Mais les défenseurs de l'environnement s'alarment des montagnes de déchets qui grandissent et affirment que des monceaux de plastiques non recyclables sont brûlés pendant la nuit, provoquant des émanations toxiques dans toute la localité et répandant de grandes quantités de micro-plastiques dans les voies d'eau.
L'Indonésie est déjà le deuxième pays au monde contributeur de la pollution marine derrière la Chine. Selon une étude de l'Université de Géorgie aux Etats-Unis publiée dans la revue Science, le pays déverse entre 480.000 et 1,29 million de tonnes de déchets (tous types confondus) en mer par an. L'Indonésie s'est engagée en 2017 à réduire les déchets plastiques dans ses eaux de 70% d'ici 2025.
Les importations de déchets "vont coûter très cher, à notre système de santé et aux générations futures qui devront restaurer l'environnement", avertit Prigi Arisandi, spécialiste de l'environnement pour l'ONG Ecoton.
"Et cela ne se passe pas seulement à Bangun. Il y a plus de cinq villages utilisés comme décharges dans la province de Java orientale", déplore-t-il.
L'Indonésie a renforcé ces derniers mois les contrôles sur les déchets importés pour ne pas devenir la nouvelle poubelle des pays occidentaux. Le pays a commencé à renvoyer vers la France, Hong Kong, l'Australie ou les Etats-Unis des conteneurs remplis d'un mélange d'ordures ménagères, de plastique et de matières dangereuses qui avaient été importés illégalement.
Et certaines régions indonésiennes sensibilisent le grand public, comme Bali où le plastique à usage unique a été interdit.
Mais à Bangun, les habitants comme Keman voient plutôt "les déchets comme un trésor".
"Pourquoi ? Parce qu'après avoir fait sécher les ordures le matin et les avoir triées, on reçoit de l'argent le soir".
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