Dans la zone tampon entre la Grèce et la Turquie, des migrants massés devant les barbelés du côté turc appellent "à l'aide" devant le poste-frontière hermétiquement bouclé par des policiers grecs lourdement équipés et soutenus par l'armée.
"Ouvrez la porte!", scande un homme à côté du panneau "Türkiye" ("Turquie"). Ses mains s'agrippent aux barbelés tandis qu'il lance en anglais: "Aidez-nous s'il vous plaît".
"Greece! Greece!" (Grèce! Grèce!), enchaîne la foule qui s'impatiente du côté turc depuis la décision vendredi d'Ankara de ne plus empêcher les migrants de se rendre dans l'Union européenne.
"Nous avons des enfants. Ils n'ont pas de nourriture", crie un autre alors que certains agitent des morceaux de tissu blanc et affirment, "Nous sommes pacifiques".
En face d'eux, sous le portique qui indique "Ellada (Grèce), bienvenue", une quinzaine de policiers grecs casqués et munis de boucliers de protection, dissuadent les candidats à l'exil.
A leur côté, des soldats patrouillent tandis que des camions et des fourgons de l'armée vont et viennent dans un ballet incessant. Un peu plus loin sont stationnés deux camions équipés de canons à eau.
Si la tension à ce point de passage dans l'extrême nord-est de la Grèce est toujours palpable, elle semble être retombée depuis les échauffourées du week-end.
L'Organisation internationale des migrations (OIM) avait estimé ce week-end à quelque 13.000 le nombre de migrants massés le long des 212 km de la frontière terrestre gréco-turque qui borde le fleuve Evros (nommé Meritsa côté turc) .
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen se rend mardi au poste frontière avec le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, et les présidents du Conseil et du Parlement européens, Charles Michel et David Sassoli.
Malgré l'annonce des autorités grecques de renforcer leurs patrouilles aux frontières maritimes et terrestres, des migrants parviennent encore à franchir la frontière.
Parmi eux ces deux jeunes hommes, qui affirment être Syriens, rencontrés au bord d'un ruisseau, près du village frontalier de Rigio.
Hagards, assoiffés, ils portent des vêtements couverts de terre et jettent autour d'eux des regards aussi méfiants qu'apeurés.
Ils suivent des chemins de traverse pour tenter d'échapper aux soldats grecs qui quadrillent en camion toute la région.
Un peu plus tôt, quatre Guinéens ont vu leur odyssée brusquement interrompue à l'arrivée d'une patrouille de l'armée dans le village de Sofiko.
Les jeunes hommes ont été embarqués par la police au cours d'une intervention menée avec fermeté. Les Guinéens étaient escortés par des militaires qui portaient des armes automatiques et des cagoules.
Ni les policiers, ni un responsable du gouvernement grec n'ont voulu dire quelle était la destination de ces quatre hommes.
La Grèce a décidé dimanche de suspendre pendant un mois toute nouvelle demande d'asile pour les migrants entrant illégalement sur son territoire.
Athènes a également placé dimanche ses frontières en état d'alerte "maximale" face à l'afflux de milliers de migrants.
Les quatre jeunes Guinéens avaient passé la nuit dans une maison en construction abandonnée, sans fenêtres ni portes, couchés à même le béton, sans couvertures malgré des températures qui frisent le zéro.
"C'était la Une en Turquie"
Ces hommes ont raconté, juste avant leur interpellation, qu'ils s'étaient précipités d'Istanbul à la frontière turco-grecque dès qu'ils avaient entendu que les autorités turques avaient décidé de ne plus empêcher les migrants de se rendre en Europe.
"C'était la Une en Turquie. Sur internet, à la télévision, c'était partout !", explique l'un d'eux, âgé d'une vingtaine d'années, portant un blouson rouge, un bonnet noir enfoncé sur le front.
Des larmes, provoquées par le vent glacial qui souffle sur cette région de terres agricoles, coulent sur son visage.
Après avoir franchi la frontière dimanche, ils se sont heurtés à l'hostilité des habitants.
"Ils ont tiré un coup de feu en l'air !", affirme un autre membre du petit groupe, qui se protège du froid avec un bonnet et une casquette en cuir.
L'animosité de la population locale, Acil et Mithra, un couple d'Iraniens de respectivement 27 et 29 ans, l'ont également endurée.
"Ils nous détestent ! Hier soir les gens nous ont dit 'dégagez ! nous vous détestons !'", s'emporte Acil, les traits tirés. Il ressasse un moment son incompréhension, tandis qu'à ses côtés son épouse paraît exténuée.
Puis le couple s'éloigne sur la route goudronnée, main dans la main.
Ils rêvent d'aller "peut-être aux Pays-Bas ou en Autriche".
"Freedom !", reprennent-ils en coeur.
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