Pour la première fois depuis plus d'un an, Abdel Ghani peut marcher: appuyé sur un déambulateur, il avance par petits pas laborieux grâce à des jambes artificielles, fabriquées en Syrie où la guerre a fait des dizaines de milliers d'amputés.
Dans le "Centre de réadaptation physique du Croissant-Rouge syrien" à Damas, ce vétérinaire de 48 ans essaye de s'habituer aux prothèses qu'il vient tout juste d'essayer, sous le regard attentif de son petit garçon, un blondinet timide.
"Je veux tenir debout sur mes pieds à nouveau", confie Abdel Ghani, arborant une épaisse chevelure grisonnante. "Je fais de mon mieux pour pouvoir être indépendant physiquement et retourner à mon travail, que j'aime".
Autour de lui, ils sont plusieurs amputés, des jeunes mais aussi des seniors, parfois accompagnés par un proche. Blessés dans le conflit qui ravage le pays depuis 2011 ou après un accident ou une maladie, ils essayent leurs prothèses "made in Syria".
De temps en temps, un membre du personnel fait son entrée, transportant une jambe ou un bras artificiel fabriqué par le centre, qui soigne les patients gratuitement.
En mars 2017, Abdel Ghani a dû être amputé des deux jambes au niveau de la cuisse. Il a été blessé par un tir d'obus alors qu'il était à moto, en train de rentrer chez lui après avoir vacciné des agneaux près de la ville de Hama (centre).
"J'étais désespéré. Je ne pouvais pas bouger et il fallait constamment que quelqu'un m'aide. C'était très difficile pour moi", se souvient ce papa de sept enfants, vêtu d'un polo blanc.
"A chaque fois que je devais me déplacer, j'avais honte vis-à-vis de mon fils"
- "Retrouver mes pieds" -
Grâce à un médecin de Hama, Abdel Ghani a toutefois découvert ce centre qui bénéficie de l'aide technique du Comité International de la Croix-Rouge (CICR).
"Je suis dans la dernière phase, où les prothèses sont fixées et où je dois m'entraîner avec. Dans une semaine, j'aurais retrouvé mes pieds", se réjouit-il.
Non loin, l'émotion peut se lire sur le visage d'un jeune homme qui s'entraîne à marcher avec sa prothèse, tout en s'appuyant sur deux rampes métalliques.
Allongé sur un lit d'auscultation, un garçon se prépare à recevoir une jambe artificielle que va lui installer une infirmière.
Dans la salle attenante, des prothésistes s'activent devant leur établi. Des prothèses en cours de fabrication attendent la touche finale, devant des outils soigneusement rangés: tournevis, marteaux, pinces et scies.
Des jambes et des bras artificiels de toutes tailles sont étiquetés avec le nom de leur futur propriétaire.
Le centre, le premier du genre pour le Croissant-Rouge syrien, s'est lancé dans la fabrication de prothèses en 2010.
Mais le nombre de patients a grimpé au fil des ans, à mesure que la guerre -qui a fait plus de 350.000 morts- embrasait le pays.
Les amputations "ont augmenté à cause de la crise, en raison des coups de feu, des éclats (d'obus ou de roquettes) et des mines", indique à l'AFP le chirurgien Nazir Qanaan, directeur de l'établissement.
Son centre a réalisé 500 pièces en 2017, contre 250 en 2014.
- "Psychologiquement détruit" -
Depuis mai, quelque 50 prothèses ont été fabriquées chaque mois: de nombreux blessés affluent des régions récemment reconquises par l'armée, à l'instar de la Ghouta orientale, près de Damas.
Un établissement similaire géré par le CICR a ouvert ses portes à Alep (nord), tandis que plusieurs ONG internationales apportent une aide semblable dans les territoires qui échappent au contrôle du gouvernement.
L'initiative est salutaire, mais c'est une goutte d'eau dans un océan.
A cause de la guerre, 1,5 million de personnes vivent avec un handicap permanent en Syrie, dont 86.000 ont dû subir une amputation, annonçait fin 2017 l'Organisation mondiale de la santé.
"Parfois, quand un patient arrive, il est psychologiquement détruit. Mais avec sa prothèse, il retrouve la joie", explique à l'AFP une des responsables du centre de Damas, Ayat Ezzedine.
Amani, 10 ans, a mis ses nouvelles baskets aux lacets roses pour sa deuxième séance d'entraînement avec sa jambe artificielle.
La fillette, qui est accompagnée à Damas par sa tante, est originaire de la province de Deir Ezzor (est), un ancien bastion du groupe Etat islamique (EI).
En abandonnant les territoires qu'ils contrôlaient, les jihadistes ont laissé derrière eux un océan de mines.
"Amani était sortie jouer près de la maison dans notre village et une mine a explosé", murmure la jeune tante de 28 ans, Oum Souleimane. "Mais maintenant, grâce à Dieu, elle peut à nouveau marcher".
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