Le cofondateur des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, est rentré mardi en Afghanistan à peine deux jours après la prise du pouvoir, les nouveaux maîtres du pays assurant que leurs adversaires seraient pardonnés et que les femmes seraient respectées selon "les principes de l'islam".
Face à ce discours apaisant, plusieurs pays, dont la Chine et la Russie, qui n'ont pas fermé leurs ambassades, ont indiqué leur volonté de normaliser les relations avec les talibans.
Les Etats-Unis se sont dits prêts mardi à maintenir leur présence diplomatique à l'aéroport de Kaboul après la date limite de retrait fixée au 31 août si les conditions le permettent.
"Si (la situation) est sûre, et si c'est responsable pour nous de rester plus longtemps, nous pourrions envisager cela", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price.
Lors de leur première conférence de presse à Kaboul, les talibans ont assuré que la guerre était terminée et que tous leurs adversaires seraient pardonnés.
"La guerre est terminée (...le leader des talibans) a pardonné tout le monde", a déclaré leur porte-parole Zabihullah Mujahid. "Nous nous engageons à laisser les femmes travailler dans le respect des principes de l'islam".
Ils avaient auparavant annoncé une "amnistie générale" pour tous les fonctionnaires d'Etat, appelant chacun à reprendre ses "habitudes de vie en pleine confiance".
Commentant ces engagements, Ned Price a déclaré: "Si les talibans disent qu'ils vont respecter les droits de leurs citoyens, nous attendrons d'eux qu'ils tiennent cet engagement".
Le mollah Abdul Ghani Baradar, co-fondateur et numéro deux des talibans, qui dirigeait depuis le Qatar le bureau politique du mouvement, est rentré au pays où il devrait être appelé à de hautes fonctions.
- Plus comme hier -
"Une délégation de haut niveau menée par le mollah Baradar a quitté le Qatar, a atteint notre pays tant aimé cet après-midi et atterri à l'aéroport de Kandahar" (sud de l'Afghanistan), a tweeté un porte-parole des talibans.
A Kaboul, des magasins ont rouvert, le trafic automobile a repris et des policiers réglaient la circulation, les talibans tenant des postes de contrôle.
Mais des signes montraient que la vie ne serait plus celle d'hier. Les hommes ont troqué leurs vêtements occidentaux pour le shalwar kameez --ample habit traditionnel afghan-- et la télévision d'Etat diffuse désormais essentiellement des programmes islamiques.
Les écoles et universités de la capitale restent fermées.
Depuis qu'ils sont entrés dans la ville dimanche, après une fulgurante offensive leur ayant permis en dix jours de contrôler quasiment tout le pays, les talibans ont multiplié les gestes d'apaisement à l'égard de la population.
Mais pour nombre d'Afghans, la confiance sera dure à gagner. Du temps où ils étaient au pouvoir (1996-2001), les talibans avaient imposé une version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier, et voleurs et meurtriers encouraient de terribles châtiments.
"Les gens ont peur de l'inconnu", confie un commerçant de Kaboul. "Les talibans patrouillent la ville en petits convois. Ils n'importunent personne mais, bien sûr, les gens ont peur".
Facebook a fermé une ligne d'assistance mise en place sur WhatsApp par les talibans pour répondre aux plaintes éventuelles des Afghans, d'après le Financial Times mardi.
"Nous sommes obligés de nous plier aux lois américaines sur les sanctions. Cela inclut l'interdiction de comptes qui se présentent comme des comptes officiels des talibans", a justifié à l'AFP un porte-parole de WhatsApp.
- Biden "ne regrette pas" -
Très critiqué, le président américain Joe Biden a défendu la décision de retirer les troupes américaines, malgré les scènes de détresse lundi à l'aéroport de Kaboul où des milliers de personnes tentaient de fuir.
"Je suis profondément attristé par la situation mais je ne regrette pas" la décision de retirer les forces américaines, a déclaré M. Biden.
Le triomphe des talibans a déclenché une panique monstre à l'aéroport de Kaboul. Une marée humaine s'est précipitée lundi vers ce qui est la seule porte de sortie de l'Afghanistan.
L'armée américaine a découvert des "restes humains" dans le train d'atterrissage d'un avion militaire pris d'assaut lundi par des Afghans paniqués, a indiqué mardi l'armée de l'air américaine, qui a ouvert une enquête.
Washington a envoyé 6.000 militaires pour sécuriser l'aéroport et faire partir quelque 30.000 Américains et civils afghans ayant coopéré avec les Etats-Unis et craignant pour leur vie.
De nombreux pays s'activaient également mardi pour rapatrier leurs ressortissants.
Et le gouvernement britannique a annoncé dans la soirée un dispositif destiné à accueillir "à long terme" 20.000 réfugiés afghans, dont 5.000 la première année, à la veille d'une session extraordinaire du Parlement consacrée à la crise an Afghanistan.
- Moscou voit du "positif" -
Les 45 premiers exfiltrés de Kaboul par la France sont arrivés dans l'après-midi à Paris.
L'Espagne envoie deux avions militaires, la Suède a déjà rapatrié l'ensemble de son personnel diplomatique, tandis que le Danemark a déployé "une capacité supplémentaire d'avions militaires" pour "l'évacuation d'Afghanistan".
Selon le conseiller du président Biden à la sécurité nationale, Jake Sullivan, les talibans sont "prêts à protéger" l'accès à l'aéroport de Kaboul pour les civils évacués par les Américains.
Washington négocie avec les talibans le "calendrier" des évacuations américaines, a-t-il ajouté.
Les Etats-Unis pourraient reconnaître un gouvernement taliban s'il "préserve les droits fondamentaux de son peuple (...) y compris de la moitié de sa population --ses femmes et ses filles", et qu'il "n'offre pas de refuge aux terroristes", a ajouté Ned Price.
L'Union européenne "devra parler" aux talibans "aussi vite que nécessaire", car ces derniers "ont gagné la guerre" en Afghanistan, a déclaré Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne.
La Chine, première à dire lundi vouloir entretenir des "relations amicales" avec les talibans, a fustigé mardi la "terrible pagaille" laissée par les Etats-Unis qui en Irak, en Syrie et en Afghanistan laissent "des troubles, des divisions, des familles dévastées et décimées".
La Russie, dont l'ambassadeur devrait être le premier contact diplomatique du nouveau régime, a estimé mardi que les assurances des talibans en matière de liberté d'opinion constituaient un "signal positif". Le diplomate a souhaité le lancement d'un "dialogue national (...) avec la participation de toutes les forces politiques, ethniques et confessionnelles" d'Afghanistan.
La Turquie a aussi salué les "messages positifs" des talibans, et l'Iran a fait des gestes d'ouverture.
Mais pour le procureur de la Cour pénale internationale, des crimes et des exécutions en guise de représailles ont été commis dans le pays, qui pourraient relever de violations du droit international humanitaire.
Joe Biden et le Premier ministre britannique Boris Johnson ont convenu lors d'un entretien téléphonique mardi de participer la semaine prochaine à un sommet virtuel du G7 sur l'Afghanistan pour "discuter d'une approche et d'une stratégie commune".
Pour sa part, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a annoncé mardi soir une session spéciale le 24 août à Genève pour examiner "les inquiétudes sérieuses concernant les droits de l'homme" après la prise du pouvoir par les talibans.
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