Quand les talibans sont entrés dans Kaboul, le président afghan, Ashraf Ghani, s'est enfui en catimini. Mais son prédécesseur, Hamid Karzai, aujourd'hui âgé de 63 ans, est alors sorti de l'ombre, fort de son expérience en matière d'accords tribaux traditionnels.
Après les attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis, M. Karzai, toujours coiffé d'un caracul gris, avait incarné le nouveau visage de l'Afghanistan. Son aura de modernisateur, son anglais parfait, son appartenance à une vieille famille pachtoune, ses liens avec les tribus afghanes en faisait l'homme à même de transformer la nation paralysée.
En décembre 2001, après l'éviction des talibans, il avait été nommé président d'une administration transitoire au cours de pourparlers parrainés par les Nations unies à Bonn, en Allemagne. Elle s'était engagée à œuvrer en faveur de la démocratie.
Une assemblée afghane traditionnelle avait ensuite confirmé le président Karzai dans sa fonction, soufflant l'espoir d'une nouvelle ère en Afghanistan.
Mais les critiques n'ont pas tardé à éclipser les éloges de ses débuts qui lui avaient même valu une nomination pour le prix Nobel de la Paix en 2002.
Malgré des allégations de fraude, M. Karzai a remporté la deuxième élection présidentielle afghane, son adversaire Abdullah Abdullah ayant renoncé à un second tour.
Après l'élection de Barack Obama en 2008 et le départ de George Bush, les États-Unis ont déclenché une opération massive et déployé plus de 100.000 soldats en Afghanistan pour repousser les talibans.
Pendant des années, M. Karzai a prévenu que la contre-insurrection musclée américaine dans les bastions méridionaux des talibans ne faisait que galvaniser le mouvement.
Il a en vain supplié Washington de concentrer ses efforts sur le Pakistan, pour convaincre Islamabad de cesser d'apporter son soutien aux dirigeants talibans exilés sur son sol.
Alors même que les insurgés menaient des attentats dans sa capitale, M. Karzaï a insisté sur la nécessité de les faire rentrer dans le rang, s'attirant de vives critiques en les qualifiant de "frères".
- "Figure unificatrice" -
M. Karzai a fini par perdre le soutien de l'Occident. Les responsables et les médias américains l'ont régulièrement cloué au pilori, l'accusant de corruption, pendant que les États-Unis déversaient des milliards de dollars dans une économie afghane ruinée, rendant les malversations quasi-inévitables.
Il est finalement tombé en disgrâce à Washington, au profit de son ancien ministre des Finances, Ashraf Ghani, qui a tenu les rênes du pays à partir de 2014 jusqu'à sa fuite aux Émirats arabes unis la semaine dernière.
Et lorsque les talibans ont repris le contrôle du pays la semaine dernière, Karzai a aussitôt endossé un rôle familier, courant de réunions en réunions, en quête d'alliés, pour tenter d'aboutir, dans un cadre très serré, à une sorte d'accord avec ses vieux ennemis.
Dimanche, il est apparu, flanqué de ses filles, dans une vidéo qui a amplement circulé sur les réseaux sociaux pour affirmer sa mobilisation et celle de sa famille pour le pays.
"J'espère que les problèmes du pays seront résolus par des pourparlers et des négociations", a-t-il déclaré, renouant avec le ton pragmatique qui a caractérisé ses années au pouvoir.
"Je demande également à toutes les forces de sécurité et aux talibans, où qu'ils se trouvent, d'épargner les vies et les biens de la population, de se concentrer sur la sécurité des personnes", a-t-il ajouté.
Puis, mercredi, Karzai s'est assis avec une délégation de talibans, dont un de leurs négociateurs, Anas Haqqani, frère cadet de Sirajuddin Haqqani, le chef du réseau éponyme, qualifié de terroriste par Washington et qui avait mené des attentats suicides et de brutales attaques à Kaboul sous sa présidence.
"Si nous voulons voir une solution politique, Hamid Karzai va devoir y jouer un rôle clé", estime Ibraheem Thurial Bahiss, consultant auprès de l'International Crisis Group.
"C'est une figure unificatrice à bien des égards", a-t-il poursuivi, rappelant que Karzai avait la réputation d'avoir su rassembler des "factions diverses" du temps de sa présidence.
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