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Al-Qaïda ou Etat islamique? Le nouveau dilemme des shebab somaliens

Al-Qaïda ou Etat islamique? Le nouveau dilemme des shebab somaliens
Des policiers au lendemain d'une attaque à la voiture piégée perpetrée par des shebabs proches d'Al-Qaïda devant un hôtel de Mogadiscio en Somalie le 28 mars 2015Mohamed Abdiwahab
 
 

Doivent-ils maintenir leur allégeance à al-Qaïda ou opter pour l'État islamique ? De l'avis des analystes et des chefs de clan, les islamistes shebab de Somalie sont divisés sur la stratégie à adopter.

Ces hésitations surviennent à l'heure où l’État islamique en Irak et en Syrie (EI) est devenue une franchise de choix dans le monde jihadiste, attirant des combattants de l'étranger et l'adhésion de groupes islamistes comme Boko Haram au Nigeria. De son côté, al-Qaïda s'est fait remarquer ces dernières semaines en étendant son influence au Yémen.

"Pourquoi est-ce une surprise d'entendre que les shebab pourraient rejoindre l'Etat islamique ? Tous les musulmans doivent s'unir contre leur ennemi", a réagi, sous couvert d'anonymat, un responsable shebab interrogé par l'AFP.

Ces questionnements interviennent alors que les shebab sont sous pression militairement mais restent en mesure de lancer des actions de guérilla et des attaques terroristes contre des cibles civiles en Somalie et au Kenya.

Le 2 avril, un commando shebab a ainsi abattu 148 personnes, la plupart étudiants, dans un raid contre l'université de Garissa au Kenya, tandis qu'en Somalie, les attentats-suicides et les attaques à main armée se multiplient contre les hôtels, les bâtiments publics et les cibles sécuritaires.

Le massacre de Garissa -le plus meurtrier jamais commis par les shebab - a fait écho à l'attentat mené en septembre 2013 par quatre shebab lourdement armés dans le centre commercial du Westgate à Nairobi. Eux aussi avaient fait un distinguo dans leur tuerie entre musulmans et non-musulmans. Des atrocités comparables à celles commises par l'EI, coutumier des exécutions de masse, la plupart rediffusées sur internet.

- Conflit crucial au Yémen -

Certains voient dans les hésitations des shebab un signe de faiblesse: ils sont "désespérés", interprète Mohamed Ibrahim, un responsable somalien de la Sécurité. "Ils ont perdu du terrain en Somalie, il est possible qu'ils envisagent de rejoindre" l'EI "afin de récupérer des fonds et un soutien moral".

A l'inverse, d'autres pensent que les jihadistes somaliens restent des alliés précieux.

"Il y a un débat au sein de leurs responsables pour savoir s'il faut passer à l'EI ou rester avec al-Qaïda", explique à l'AFP le Premier ministre somalien Omar Abdirashid Ali Sharmarke. D'ailleurs, selon lui, "tant l'EI qu'al-Qaïda appellent les shebab à les rejoindre".

Selon le chef de gouvernement, les récents gains territoriaux au Yémen d'al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), la plus vigoureuse des franchises d'al-Qaïda, pourrait ranimer l'ardeur des shebab, voire renforcer le groupe.

"C'est vraiment crucial parce que cela peut déborder le conflit yéménite et arriver aisément en Somalie," avertit M. Sharmarke, ajoutant que "le golfe d'Aden peut devenir un couloir jusqu'à l'Afghanistan et au Pakistan".

Des sources locales dans le sud de la Somalie, où les shebab sont désormais repliés, ont confirmé que des réunions se sont tenues sur le sujet.

"Nous avons entendu parler d'une réunion des principaux dirigeants des shebab", relève Hassan Nure, un ancien de la région de Lower Shabelle. "Ils ne se sont pas encore mis d'accord, certains sont encore très réticents car ils veulent maintenir les relations avec al-Qaïda."

"Le débat parmi les shebab pour savoir s'il faut rester loyal à al-Qaïda ou au contraire s'aligner avec l'EI est très présent", juge Tres Thomas, un expert de la Somalie basé à Washington et auteur du blog Somalia Newsroom.

Selon les analystes, le leader des shebab, Ahmed Diriye, également connu sous le nom d'Ahmed Umar Abu Ubaidah, est un allié loyal d'al-Qaïda , tandis que le chef de sa puissante police secrète, Mahad Karate, est un des plus influents partisans d'un revirement vers l'EI.

- Coup de pub -

"Si les shebab s'alignaient sur l'EI, cela signifierait plus d'argent et plus de moyens qu'al-Qaïda n'est en mesure de leur fournir en ce moment", pointe une source sécuritaire occidentale.

Cela pourrait aussi leur donner une impulsion politique et un coup de publicité.

"D'une certaine façon, vous héritez un peu de la force de l'organisation à laquelle vous faites allégeance", décrypte à Paris Roland Marchal, chercheur au CNRS.

Mais, pense l'expert en terrorisme, "la direction shebab reste très liée à AQPA. Il paraît assez difficile d'envisager qu'elle opte comme ça pour Daech" (acronyme arabe de l'EI).

"Il n'est pas évident de déterminer la taille et l'influence de la faction pro-EI, ni si elle est capable de motiver une audience plus large parmi les shebab, en dehors d'un certain nombre de combattants étrangers qui eux aussi soutiennent une alliance avec l'EI", remarque Tres Thomas.

Mais dans tous les cas, poursuit l'analyste, un simple transfert d'allégeance risque de ne pas changer grand chose à l'attrait des shebab vis-à-vis des candidats potentiels au jihad.

"Alors que les shebab aimeraient voir des jihadistes, notamment ceux d'origine somalienne, venir en Somalie plutôt qu'en Syrie ou en Irak, une alliance avec l'EI ne changerait pas le fait que leur affaiblissement dans le contrôle du territoire et les attaques urbaines contre des civils restent un fort élément de dissuasion pour les recrues".


 

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