Cony a troqué ses tenues moulantes habituelles pour une robe qui descend jusqu'aux genoux : aujourd'hui, elle assiste à son premier cours de droit, qui va former au total 60 prostituées du Nicaragua à devenir conciliatrices de justice.
Devoir coucher avec des inconnus pour de l'argent, "c'est horrible, ce n'est pas un travail digne, c'est dégoûtant", confie Concepcion Jarquin, 46 ans, que tout le monde appelle Cony. "Mais c'est de cette façon que nos enfants ont à manger".
Dans le cadre de cette initiative inédite, portée par l'Association des femmes travailleuses sexuelles "Girasoles" (tournesols), elle va apprendre gratuitement des notions de droit, grâce à des cours impartis par des avocats de la Cour suprême.
"Nous sommes des femmes habituées à lutter et toujours prêtes à nous dépasser, et à chercher de quoi manger pour notre famille", explique Maria Davila, présidente de l'association. "Nous avons des droits et des compétences", ajoute-t-elle.
Le pays d'Amérique centrale compte quelque 14.000 prostituées, la plupart sans couverture médicale, souvent maltraitées par leurs clients, violées ou agressées par des délinquants, quand elles ne sont pas discriminées par la police.
Pour s'en sortir et donner à manger à ses deux enfants et ses trois petits-enfants, Cony, une femme souriante au teint pâle et aux traits fins, raconte avoir dû coucher avec "des paysans, des employés de bureau, des étudiants, des bergers, des prêtres, des hommes politiques..."
Dans sa modeste bicoque de la ville montagneuse de Matagalpa (nord), elle raconte sa dure vie, depuis l'enfance : violée à six ans par un voisin, elle a fui sa maison et l'école avant de travailler dans des magasins et des hôtels, où elle était harcelée sexuellement. Puis elle est devenue prostituée dans les bars de Matagalpa, Managua et d'autres villes du pays.
Elle a ainsi appris à survivre dans un environnement hostile et pense que cette expérience lui servira pour aider les autres à se défendre.
- 'Aider les autres' -
"Alondra" - elle ne veut pas donner son vrai nom -, 36 ans, a elle aussi souffert : "J'ai été violée deux fois, une fois par une bande criminelle de 10 personnes à Managua", raconte cette employée domestique, qui se prostitue sur son temps libre.
Mère célibataire de trois enfants de 4, 15 et 19 ans, elle suit elle aussi les cours de droit.
"Maintenant, je sens que je vais apprendre plus, être plus forte et, à travers ce que j'apprends, je vais aider les autres", explique-t-elle.
"Je me sens fière d'être travailleuse du sexe", dit pour sa part Yesenia Alston, 35 ans, mais ces cours sont "une opportunité pour soutenir nos familles et nos collègues. Avec ces connaissances, nous apprenons à défendre nos droits".
Dans une des salles de la Cour suprême, habillée d'une tenue modeste mais la plus élégante de sa garde-robe, Cony a prêté serment pour devenir conciliatrice, une fonction déjà exercée par 4.300 personnes dans le pays et qui n'est pas rémunérée.
Son rôle sera de résoudre par des accords à l'amiable les conflits mineurs dans son quartier, comme des disputes entre voisins, certains cas de violence familiale, des contentieux sur des prêts d'argent entre particuliers...
Dans les cas plus graves, elle aidera les victimes à se mettre en contact avec des associations de soutien ou la police.
Dans son quartier, Cony raconte que les conflits familiaux et entre voisins ne manquent pas. La plupart des habitants vivent les uns sur les autres, dans des cabanes de fortune, en plastique ou en zinc, et comme ils n'ont pas d'eau, un camion passe tous les deux jours pour leur en vendre.
Grâce à ces cours, ces 60 prostituées apprennent les fondamentaux du droit, les normes du Code de la famille et les lois contre la traite des personnes et la violence contre les femmes.
La formation, organisée par sessions se déroulant tous les deux mois, est prévue de durer un an.
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