Le Kurdistan irakien est désormais dirigé par deux cousins: Netchirvan et Masrour Barzani. Leur arrivée au pouvoir, démocratique, scelle une gestion "monarchique" de la région autonome gérée depuis des décennies par deux clans rivaux, estiment les experts.
Les nouveaux président et Premier ministre du Kurdistan sont respectivement le neveu et le fils du leader historique Massoud Barzani.
Malgré le passage de relais entre générations, l'ombre de celui qui fut président du Kurdistan depuis la création du poste en 2005 jusqu'aux lendemains du référendum d'indépendance de 2017 continuera de planer sur la politique kurde, ajoutent ces experts.
Lundi, Netchirvan Barzani, Premier ministre sortant de 52 ans et également gendre de Massoud Barzani a prêté serment comme président.
Le lendemain, Masrour Barzani, patron des services de sécurité kurdes de 50 ans, a été nommé au poste de Premier ministre.
Leur grand-père, Moustafa Barzani, a fondé le premier parti du Kurdistan irakien, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) --grand vainqueur des législatives de 2018 avec 45 sièges sur 111.
Aujourd'hui "la famille Barzani se renforce encore" au sein des instances dirigeantes, estime Kamal Chomani, du Tahrir Institute for Middle East Policy.
"Ils savent qu'il est impossible d'imposer légalement une monarchie en Irak ou au Kurdistan, mais dans les faits, ils en ont établi une", affirme-t-il à l'AFP.
- "Le vrai chef" -
Pour Megan Connelly, spécialiste du Kurdistan irakien basée à New York, le centre de gravité de la politique s'est même déplacé, des institutions officielles vers les cercles officieux et familiaux.
"Le QG des Barzani s'est imposé comme une institution alternative et cela est encore plus visible aujourd'hui", assure-t-elle à l'AFP.
De ce fait, la fonction officielle de président est affaiblie et "il sera difficile pour Netchirvan Barzani de sortir de l'ombre de Massoud Barzani", qui reste le patron du PDK.
En mars, dans un entretien au journal en ligne Al-Monitor, Netchirvan Barzani affirmait déjà que Massoud Barzani restait "le vrai chef" et "la seule personne qui ne peut être sortie de la scène" politique kurde.
Symboliquement, lundi, aussitôt après la prestation formelle de serment de Netchirvan Barzani, son oncle a été le premier à monter sur scène pour prononcer un discours. Avant le nouveau président ou le président irakien par exemple.
Au-delà de l'ombre du patriarche, les deux nouveaux dirigeants devront aussi composer avec les rivalités internes.
"Netchirvan et Masrour Barzani resteront unis face aux défis venus de l'extérieur, mais leurs conflits internes pour le pouvoir et les ressources vont aller grandissant" dans la riche région pétrolière, estime M. Chomani.
Et, renchérit Mme Connelly, Massoud Barzani pourrait alors s'imposer en arbitre.
La gestion clanique ou familiale du pouvoir n'est toutefois pas la chasse gardée du PDK. Son grand rival, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) du défunt président irakien Jalal Talabani, fonctionne de la même façon, rappellent les experts.
C'est d'ailleurs le fils de Jalal Talabani, Qubad Talabani, qui était le vice-Premier ministre de Netchirvan Barzani. Et, selon des observateurs, il pourrait conserver ce poste.
- "Une grande famille" -
Les clans Barzani et Talabani sont ennemis politiques depuis des décennies et leur rivalité a même mené à une guerre civile qui a fait des milliers de morts dans les années 1990.
Aujourd'hui, l'ancienne génération "s'assoit autour d'une table et passe le relais aux enfants et petits-enfants". Et même s'ils appartiennent à deux camps rivaux, les politiciens kurdes sont "une sorte de grande famille", explique Mme Connelly.
Parce qu'ils ont eu le sentiment de se faire confisquer la politique par l'entente entre les deux grandes familles, de petits partis d'opposition ont vu le jour ces dernières années. C'est le cas de Nouvelle génération, dernier né de la scène politique kurde qui a percé aux législatives tant à Erbil qu'à Bagdad.
"La nomination de Masrour Barzani au poste de Premier ministre est la touche finale à l'établissement d'un pouvoir familial au Kurdistan --par des voies démocratiques", estime ainsi Sarkawt Chemseddine, député de Nouvelle génération au Parlement central de Bagdad.
Pour lui, l'absence de contestation est le signe d'une "normalisation dangereuse". Les Kurdes d'Irak, affirme-t-il à l'AFP, "sont démoralisés, fatigués des politiques et de la polarisation".
Mais, dit-il, sur le long terme, de plus en plus de dissidents vont vouloir sortir de l'antagonisme Barzani-Talabani.
"Je pense que c'est comme cela que le changement arrivera", conclut-il.
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